Jean Hindriks

La réforme des pensions : l’harmonisation des fins de carrière

Jean Hindriks Président Economics School of Louvain, Itinera Fellow et Conseil Académique des Pensions

Le gouvernement souhaite mettre en place une pension à temps partiel. La pension partielle serait notamment accessible à ceux qui n’ont pas accès aujourd’hui aux régimes des fins de carrière comme les indépendants, certains fonctionnaires (en Flandre) et les salariés avec des carrières insuffisantes.

En concertation avec son employeur, le travailleur qui exerce au moins x % d’un temps plein l’année qui précède sa demande, pourrait à partir de l’âge d’accès à la pension anticipée obtenir la moitié de la pension à laquelle il a droit. Le travailleur devrait en contrepartie réduire son activité professionnelle au maximum à la moitié d’un temps plein. Pendant son activité professionnelle à mi-temps le travailleur continuerait à se constituer des droits de pension pour sa carrière à mi-temps jusqu’à la date de sa pension complète. C’est une différence notable avec le crédit temps de fin de carrière qui est pleinement assimilé à une activité professionnelle dans le calcul de la carrière.

L’idée de superposer un nouveau régime de pension à temps partiel aux régimes existants des fins de carrière est une demi-solution qui va poser des problèmes au carré. En effet ces différents régimes offrent des incitations très différentes, quand l’égalité de traitement exigerait de mettre en place un régime identique et universel de fin de carrière pour l’ensemble des affiliés. La population est en demande d’harmonisation et de simplification. Comparons le système du crédit temps de fin de carrière pour les salariés avec cette proposition d’une pension à temps partiel pour y voir plus clair. Nous nous basons sur une simulation réalisée à la demande du Cabinet pension en 2019. Supposons un affilié avec un salaire mensuel de 4.500 euros et une pension anticipée mensuelle à 63 ans de 3.150 euros.

  • Dans l’option d’un crédit-temps à mi-temps, cet affilié reçoit la moitié de son salaire mensuel (2.250 euros) et une allocation mensuelle de l’ONEM de 425 euros, soit un montant total de 2.675 euros jusqu’à sa pension complète à 65 ans.
  • Dans l’option d’une pension à mi-temps entre 63 et 65 ans. Cet affilié percevra la moitié de son traitement mensuel (2.250 euros) et la moitié de sa pension anticipée (1.575 euros), soit un montant total de 3.825 euros (contre 2.675 euros dans l’option du crédit temps). La pension à temps partiel augmente donc le revenu mensuel entre 63 et 65 ans de 1.150 euros par rapport au crédit temps. Cela correspond à une différence annuelle de 13.800 euros pendant deux ans.

En revanche, la pension à 65 ans sera plus élevée dans le cas d’un crédit temps car l’affilié se constitue entre 63 et 65 ans des droits de pension à taux plein pour obtenir une pension à 65 ans de 3.300 euros. Dans le cas d’une pension à temps partiel, l’affilié se constitue des droits de pension à mi-temps entre 63 et 65 ans pour obtenir une pension à 65 ans de 3.225 euros. Cela correspond à une différence annuelle de 900 euros. La pension à mi-temps se traduit donc par un gain de traitement annuel de 13.800 euros entre 63 et 65 ans contre une perte de 900 euros après 65 ans. Du point de vue du budget de l’Etat, la formule de la pension à temps partiel est préférable au crédit-temps à temps partiel parce que le travailleur finance alors l’inactivité à temps partiel en prenant une partie de la pension qui ne sera plus développée. Cette simulation illustre le danger d’introduire une telle pension à temps partiel en maintenant les régimes existants de fins de carrière. Les affiliés vont anticiper leur pension à 63 ans au risque de baisser leur pension ultérieurement. Une solution proposée en 2015 dans un rapport complémentaire de la Commission de Réforme des Pensions 2020-2040 (dont l’auteur a été membre) consiste à introduire une correction actuarielle (basée sur la durée de carrière effective) pour éviter une anticipation des pensions. Concrètement il s’agit de restaurer une décote par année d’anticipation de la pension par rapport à une durée de carrière attendue, ce qui concrètement neutralise le surcoût budgétaire de verser une pension anticipativement.

Cette question de la correction actuarielle est en fait peu discutée dans les discussions autour de la réforme des pensions. L’enjeu des fins de carrière est assez mal compris. Pourtant le pari du gouvernement consiste à financier le coût croissant des pensions (57 milliards en 2022) en augmentant le taux d’emploi à 80%. Une telle augmentation implique inévitablement une hausse de l’emploi entre 55 et 65 ans. Notre système de pension repose sur un lien vital entre durée de la carrière professionnelle et niveau de la pension. La durée de la carrière de référence est formellement de 45 années pour financer en moyenne 22 années de pension : soit un rapport de 2 années travaillées pour une année de pension. La réalité est bien différente et on s’approche plutôt d’un rapport de 1 année travaillée pour une année de pension. En effet un rapport récent du Bureau du Plan (2022) révèle que les salariés récemment partis à la pension ont en moyenne une carrière comprimée avec constitution pension de 28 années chez les hommes et de 24 années chez les femmes. La carrière comprimée est le total des jours travaillés ou assimilés sur l’ensemble de la carrière divisé par 312 jours. Cette carrière comprimée se décompose en 20 années travaillées et 8 années assimilées chez les hommes contre 14 années travaillées et 10 années assimilées chez les femmes.

On l’aura compris, le grand enjeu de la réforme des pensions est la réforme des régimes des fins de carrière et il faudra du courage politique pour s’y atteler. En effet la grande partie des “assimilations” (années de carrière non prestées mais donnant droit à constitution de pension) est concentrée sur les fins de carrière. Ces fins de carrière sont massivement utilisées. Parmi les cohortes parties à la pension durant les 15 dernières années, 75% des hommes et 80% des femmes ne sont plus à l’emploi au moment de prendre leur pension. La grande majorité des affiliés transite donc par ces régimes de fins de carrière pour quitter le marché du travail bien avant l’âge légal de la pension. Cette politique était justifiée dans le passé avec la présence massive des baby-boomers sur le marché du travail. Elle est aujourd’hui source de pénurie dans tous les métiers avec le départ massif à la pension de ces cohortes de baby-boomers. Depuis quelques années le nombre de départ à la pension excède le flux entrant sur le marché du travail. Ce déséquilibre démographique est structurel et va se poursuivre durant les 20 prochaines années. Il est donc crucial de lisser cette bosse démographique en mettant en place un régime cohérent et uniforme de pension progressive (avec correction actuarielle adéquate) qui remplacerait la complexité des régimes de fin de carrière existant. Ces régimes sont incompatibles avec l’objectif déclaré d’un taux d’emploi de 80%. Ces régimes spécifiques génèrent en outre des inégalités de traitement injustifiées et injustifiables.

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