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“La libéralisation de la Russie devrait être l’affaire des Russes”

“Mais l’Occident pourrait contribuer à contenir le régime”, explique Alexeï Navalny.

Comme par un fait exprès, c’est depuis une cellule de prison que j’écris un article sur les perspectives de la Russie pour 2018 (Alexeï Navalny a été libéré le 2 octobre 2017, au terme de 20 jours de détention, Ndlr). J’ai une fois de plus été arrêté pour avoir mené ma campagne électorale. Depuis que j’ai annoncé mon intention de me présenter à l’élection présidentielle de mars 2018, j’ai passé un jour sur cinq derrière les barreaux.

Deux tendances définiront les perspectives de la Russie en 2018 : une fossilisation persistante d’un petit groupe de gens qui tiennent les leviers du pouvoir, et la montée en puissance de la nouvelle génération de citoyens russes. A l’heure où les cours du pétrole s’effondrent, il apparaît clairement que ni le Kremlin ni Vladimir Poutine ne peuvent faire grand-chose pour favoriser une croissance économique durable et relever le niveau de vie des Russes. En 2012, Vladimir Poutine promettait qu’avant la fin de son mandat, en 2018, le PIB par actif aurait augmenté de 50 %. Il a en fait progressé de moins de 10 %.

Une accélération de la croissance ne pourra venir que de la déréglementation, d’un désengagement de l’Etat dans les grands secteurs économiques, d’une véritable lutte contre la corruption, et de l’indépendance de la justice et de la police. Autant de réformes auxquelles le pouvoir se refuse, car elles affaibliraient le régime.

Le régime maintient son emprise sur le pays en présentant la Russie et son président comme les grands défenseurs de la famille et de la morale, tout en accusant l’Occident d’avoir renoncé à ces valeurs. Ce qui lui offre un prétexte plausible, voire louable, pour balayer d’un revers de main les revendications de modernisation économique et politique.

Le Kremlin parle d’outrages commis chaque jour à l’encontre des fondements spirituels de la nation, qu’il s’agisse des vétérans et du souvenir de la grande guerre patriotique, de saints et de la famille du tsar, ou de l’art traditionnel. La moindre critique du pouvoir, le moindre rappel au bon sens sont systématiquement déformés et assortis d’un chapelet d’invectives.

Pour s’accrocher au pouvoir, Vladimir Poutine exploitera également la politique étrangère. Elle restera un outil de déstabilisation et sera encore plus hypocrite, en ceci qu’elle soutiendra en même temps tous les politiciens d’extrême droite et d’extrême gauche en Europe et en Amérique. Moscou profitera de la moindre brèche dans la vie politique occidentale pour exacerber les tensions par des financements occultes, des opérations clandestines et des campagnes médiatiques.

La libéralisation de la Russie devrait être l’affaire des Russes. Mais l’Occident pourrait, en appliquant ses propres règles pour enquêter sur les flux d’argent sale en provenance de Russie, contribuer à contenir le régime. Tous les proches de Vladimir Poutine détiennent des avoirs en Occident, qu’il leur serait douloureux de perdre. Dénoncer et éradiquer ces mouvements de fonds affaiblirait le régime corrompu et révélerait au grand jour son hypocrisie.

Les pseudo-conservateurs ne sont pas assurés de l’emporter sur les Russes favorables au changement. En 2018, nous verrons apparaître une nouvelle classe politique, formée de jeunes de moins de 35 ans qui ont toujours vécu sous Poutine. Ils n’ont aucun souvenir des pénuries et des files d’attente devant les magasins d’alimentation, si courantes à l’époque soviétique. Pour eux, les quatre dernières années de présidence de Poutine, au cours desquelles le revenu réel n’a cessé de s’éroder, sont ce qu’ils ont connu de pire. Et surtout, ils savent pertinemment que l’avenir est bouché.

Le pseudo-conservatisme ne rencontre aucun écho auprès de ces jeunes. Ce qu’ils veulent, c’est du travail et un salaire à la mesure de leurs diplômes et correspondant aux niveaux européens, car ils ne doutent pas de l’évidence : ils vivent en Europe. Ce sera dur. En Russie, pour avoir un accès normal à l’information, il faudra passer par des réseaux privés virtuels (VPN) et des réseaux Tor (permettant de naviguer sans laisser de trace). Le blocage des services de messagerie anonymes et la répression de l'” extrémisme ” sur les réseaux sociaux déboucheront inévitablement sur l’invention de nouvelles formes d’échanges et d’information. En 2018, cette nouvelle classe de la société russe prendra conscience de son rôle et de son pouvoir.

Par Alexeï Navalny,avocat, militant d’opposition

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