“La guerre économique contre la Russie exigera de grands sacrifices”

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Daan Killemaes Economiste en chef de Trends Magazine (NL)

Si nous voulons vraiment frapper le président russe Vladimir Poutine là où ça fait mal, nous devrions cesser d’importer du pétrole, du gaz naturel, des céréales et d’autres produits de base essentiels que nous achetons à la Russie. Des sanctions économiques aussi drastiques pourraient mettre la Russie à genoux tant sur le plan économique que financier, mais elles sont aussi extrêmement risquées.

La Russie n’est pas une bizarrerie géopolitique que l’on peut étrangler économiquement en toute impunité. Nous nous étoufferions également sur le plan économique si nous arrêtions complètement l’importation de certains produits énergétiques et alimentaires. Quiconque veut frapper la Russie doit d’abord se tirer une balle dans le pied… De plus, une telle guerre économique totale est presque un acte de guerre. Un peu de prudence, prendre du recul et un discours diplomatique ne font pas de mal dans ces circonstances.

Car l’Occident risque de payer très cher son impulsivité : un facture salée qui se prendrait la forme d’une récession et d’une inflation élevée pour une longue période. Avec le pétrole à 125 dollars le baril et le gaz naturel à plus de 300 euros par Mwh, il s’agit d’un choc énergétique sévère, qui se rapproche du premier choc pétrolier de 1973. Depuis lors, nous sommes devenus moins dépendants des combustibles fossiles, mais nous ne pouvons toujours pas nous en passer. Par exemple, 78% de l’approvisionnement énergétique de la Belgique dépend encore des importations de combustibles fossiles. Avec des prix pareils, cela représente un énorme gouffre financier qui pourrait stopper complètement la reprise économique de notre pays. Sommes-nous prêts à accepter la stagflation comme un sacrifice nécessaire dans cette guerre contre la Russie, et ce juste au moment où notre économie commence se remet encore de la pandémie ?

L’Europe, dépendante du gaz naturel russe

La discussion devient encore plus vive, c’est lorsqu’il s’agit de l’approvisionnement européen en gaz naturel russe. La dure réalité est que nous avons besoin du gaz russe plus que la Russie n’a besoin de nos euros. Un boycott ferait évidemment mal à la Russie, mais elle gagne jusqu’à cinq fois plus en vendant du pétrole qu’en vendant du gaz naturel. Avant l’invasion de l’Ukraine, la Russie enregistrait un excédent commercial, et ce même sans tenir compte des revenus du gaz naturel. L’économie et les réserves de change russes reposent donc beaucoup plus sur le pétrole que sur le gaz. Un boycott du pétrole ferait donc beaucoup plus mal à Poutine qu’un boycott du gaz.

L’Europe, qui est très dépendante du gaz naturel russe, serait la grande perdante en cas de boycott du gaz en provenance de la Russie. À court terme, il est certainement impossible de remplacer ce gaz. Un boycott du gaz russe impliquerait une réduction de la consommation à court terme et des prix très élevés, et ce y compris en Belgique. Nous n’avons pas encore suffisamment évalué le coup de massue que cela représenterait pour notre économie énergétique. Avez-vous déjà multiplié votre facture de gaz naturel par 20 ? Espérons que les prix du gaz naturel ne resteront pas aux niveaux actuels pendant longtemps. Si tel est le cas, le gaz, c’est-à-dire le chauffage domestique, deviendra pratiquement inabordable pour de très nombreuses familles, à moins bien sûr que le gouvernement ne prenne en charge une part encore plus importante de la facture. Une simple réduction de la TVA sera alors loin d’être suffisante.

En bref, refuser de s’approvisionner en gaz naturel auprès de la Russie pourrait avoir de graves conséquences économiques et politiques, qui feraient plutôt rire Poutine. Ce n’est pas pour rien que l’Allemagne s’oppose à ce boycott. Oui, l’Europe s’est naïvement rendue dépendante du gaz naturel russe ces dernières années, mais ce constat se paye aujourd’hui.

Le robinet de pétrole?

Si nous ne faisons pas assez mal à la Russie en fermant le robinet du gaz, la donne est différente en ce qui concerne le pétrole. Dans ce cas-là, un boycott du pétrole ferait probablement plus de mal à la Russie qu’à l’Occident. Pour le pétrole, il y a un peu plus d’alternatives à court terme, après tout, si le cartel de l’OPEP est prêt à pomper plus de pétrole, si un accord nucléaire peut être conclu avec l’Iran (qui suspend alors les sanctions pétrolières contre ce pays), et si les Américains intensifient la production de pétrole de schiste… Malgré cela, cela ne sera pas facile sans le pétrole russe sur des marchés pétroliers déjà tendus. En outre, il y a de fortes chances que Poutine réagisse en fermant le robinet du gaz si nous cessons d’acheter son pétrole.

En bref, la guerre économique contre la Russie exigera également de grands sacrifices. Il faut espérer que l’Europe se rende compte de ce qui l’attend si elle veut vraiment jouer à fond cette carte contre Poutine.

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