Bruno Colmant

La fragilité de la démocratie

Bruno Colmant Economiste. Professeur à la Vlerick School, l’ULB et l'UCL.

La guerre ukrainienne, qui sera suivie d’autres conflits locaux, est probablement le moment le plus menaçant depuis l’invasion nazie.

L’Europe a été construite sur les cendres de la Seconde Guerre mondiale, et sur un postulat de paix, lui-même conforté par une mondialisation désormais globalisée. Des déflagrations militaires, sociales, politiques et financières commencent à arracher notre apaisement dans l’avenir, comme un shrapnel qui déchire la surface du sol.

Nous avons été de mauvaises sentinelles de notre futur. Et nous avons oublié que l’histoire a horreur du vide dans un monde transi par la tragédie. Or, tout est fragile : la tempérance environnementale, la paix, les États, la monnaie, les ordres sociaux. Tout est précaire parce que nous n’avons formulé aucun projet de société, sinon un accommodement à l’économie de marché.

Et je crains même que nos gouvernants ne soient pas conscients de la fragilité de leur légitimité, car la démocratie sera immanquablement mise en joue si les événements se précipitent.

La sphère politique devra ambitieusement reconquérir l’opinion publique dans un projet de société apaisé, car la démocratie est menacée par d’autres facteurs que ceux qu’on englobe un peu trop rapidement sous le vocable de populisme. La démocratie est traumatisée par le rythme des changements économiques, les inégalités sociales, financières et patrimoniales et donc la mondialisation globalisée. Ces derniers facteurs créent donc une inégalité politique. Mais la crise de la démocratie, c’est aussi l’échec de l’efficacité de la décision politique.

Concomitamment, il faudra donc renforcer le contrôle démocratique des décisions de l’État. Mais ces exigences portent en elle des avertissements, car la défiance par rapport au monde politique découle d’une appréhension à l’égard des politiques publiques. L’inefficacité de l’État dans des situations de crise (crise sanitaire de ma Covid, tensions énergétiques, etc.) conduit, pour certains, à une contestation, voire une répulsion de la démocratie. De surcroît, les élections possèdent une capacité décroissante de représentation et deviennent moins efficaces pour légitimer les pouvoirs politiques. Le découragement civique est incontestable.

En ce qui concerne le déficit de représentation et d’adhésion démocratique, j’avais d’ailleurs, dès les premiers confinements liés à la crise sanitaire de la Covid, eu l’intuition d’une perte d’adhésion citoyenne. On constate, de plus en plus, une rupture du respect à l’État, à l’employeur, à la civile, etc. Si cette intuition collective se confirme, alors un mouvement de rébellion silencieuse pourrait apparaître avant de se transformer en populisme dégagiste.

Sans l’adhésion démocratique et l’affermissement de cette démocratie dans le champ politique, des malaises sociaux semblent prévus, donc prévisibles. Ils seront sans doute aggravés par le fait que la mobilité sociale a décru au cours des dernières années, que la proportion de la population en dessous du seuil de pauvreté a dangereusement augmenté et que la société de l’information a accentué les clivages sociétaux dans un contexte où la révolution digitale a accru l’émiettement social. Ce ne sera pas une revanche des masses, mais plutôt un risque de désobéissance socio-économique ou culturelle, voire identitaire, qui serait un scénario inquiétant.

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