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La fausse bonne conscience de la gauche sur la restitution des oeuvres coloniales: inventaire avant liquidation?
Le débat sur la “décolonisation de l’espace public” vit plus que jamais suite au rapport de la commission (mandatée par le gouvernement bruxellois) qui propose la fonte de la statue équestre de Leopold II située Place du Trône. Une telle recommandation ne peut venir que d’activistes et non pas d’historiens. Les mêmes activistes qui s’offusquent dans leur rapport que “le droit pénal limite les possibilités d’agir contre les symboles coloniaux en punissant le “vandalisme” et la destruction des monuments” ! L’histoire ne s’efface pas, elle se contextualise et s’enseigne.
Des crimes ont été commis pendant la période coloniale et sont documentés par des travaux d’historiens depuis des décennies. Il faut reconnaître ces blessures pour pouvoir avancer, comme l’avait rappelé Sophie Wilmès au moment où le Roi avait exprimé ses regrets pour ces souffrances. Mais détruire les vestiges du passé ne résoudra pas cette question.
Pas plus que vider nos musées.
L’initiative du Secrétaire d’Etat Thomas Dermine (PS), juste avant la visite royale au Congo, ouvre une dangereuse boîte de Pandore en la matière. En remettant un inventaire de 84.000 pièces aux autorités congolaises aux fins de “rendre à la RDC des oeuvres qui auraient été volées et ne nous appartiendraient” pas, Thomas Dermine s’engage sur une pente très glissante. Qui confond l’idéologie – celle du “présentocentrisme” qui consiste à vouloir rejouer en permanence le match de l’histoire selon l’inclinaison du moment – et le droit.
Faut-il rappeler les dispositions de droit national et international ? La Convention de la Haye, d’une part, qui établit depuis 1899 les principes concernant la protection des biens culturels en cas de conflit armé et constitue le socle de diverses conventions successives dans le domaine. La Convention de l’UNESCO de 1970 (ratifiée par la Belgique et la RDC), d’autre part, qui concerne les mesures à prendre pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels.
Le Musée d’Afrique a même été à cet égard au-delà de ce qu’exige le droit positif. Dans les années 1970, la Belgique avait fait transférer, volontairement, 114 objets des collections du MRAC vers les musées nationaux congolais (ex-Zaïre). De ces 114 pièces, il n’en reste aujourd’hui plus que 21… Le reste a été volé. Si l’on compare cet envoi de 114 objets aux 26 restitués par le Président Macron au Sénégal et au Bénin en 2021, notre pays n’a certainement pas à recevoir de leçons ou à se sentir à la traîne de la France.
En affirmant que l’ensemble des pièces acquises pendant la période coloniale et conservées au Musée de Tervueren pourraient être “illégitimes” et donc susceptibles d’être restituées, le Secrétaire d’Etat crée un critère nouveau et flou, basé sur une prétendue morale, qui ne correspond en rien au droit en vigueur.
Loin de nous de refuser de restituer des objets acquis en violation de règlementations établies comme la Convention de la Haye de 1899. Ce n’est toutefois pas la démarche suivie, qui met le doigt dans un engrenage sans fin consistant à réécrire l’histoire et à ne se sentir mieux que lorsque notre pays se sera dépouillé de ce patrimoine culturel et historique. A suivre ce raisonnement, un pays ne serait voué à ne détenir que son propre art. Ce qui mène en pratique à l’appauvrissement d’un des plus beaux musées du monde en termes d’art Africain. Le fait que le Gouvernement fédéral vient d’y réinvestir environ 70 millions d’euros d’argent public en rénovation n’y change manifestement rien… Sait-on seulement que le Musée de Tervueren rivalise aux côtés des musées les plus prestigieux en la matière tel que le Musée du Quai Branly et le British Museum (lequel se maintient d’ailleurs pour le moment en dehors de cette fièvre restitutionniste) ? Et ce, malgré l’absence, depuis des décennies, de budgets sérieux pour acquérir des nouvelles oeuvres ! Sait-on aussi que parmi les pièces susceptibles d’être rendues se trouvent des objets qui, par un patient travail de recherche et de présentation muséale sont passés du statut d’objets ethnographiques à celui de “chef-d ‘oeuvres absolus de l’art et du patrimoine mondial” et qui sont parmi les objets les plus emblématiques du MRAC au même titre que la Joconde pour le Louvre ?
Plus grave encore, cette logique de restitution signe en réalité la fin du Musée Universel, celui issu des Lumières, qui expose les trésors de toutes les civilisations anciennes en temps de paix. Le Louvre, le Metropolitan Museum, les Musées royaux d’Art et d’Histoire, le Rijksmuseum pourraient devoir restituer leurs collections Egyptienne, pré-Colombienne, Etrusque, Mésopotamienne, Chinoise… au nom de ce nouveau critère “d’illégitimité”. En effet, la vaste majorité de leur art ancien et/ou extra-européen est issu de périodes de domination. Il suffit de penser aux conquêtes napoléoniennes en Egypte.
L’on semble oublier dans ce débat que nous-mêmes en Belgique avons été un pays dominé par différentes puissances : l’Espagne et l’Autriche des Habsbourg, la France de la Révolution et de Napoléon. De ces dominations résultèrent de nombreuses prises d’oeuvres d’art dans notre pays dont un nombre important figure toujours dans les collections nationales de ces pays. Le Secrétaire d’Etat a-t-il réclamé avec la même conviction les oeuvres belges tout autant légalement conservées par de grands musées européens ? Si l’on considère que le Jardin des Délices de Bosch (volé par les troupes du duc d’Albe au XVIème siècle) fait partie de l’histoire de l’Espagne et des collections du Prado, il n’y a pas de raison de retirer des oeuvres des collections du MRAC. Ou bien serait-on dans le “deux poids, deux mesures” ? Au risque que la Belgique soit le dindon de la farce de l’histoire des restitutions. A ce tarif-là, il faudrait aussi sérieusement envisager de rendre à l’Allemagne plusieurs panneaux de l’Agneau mystique de Gand qu’elle avait acquis légalement dans la première moitié du XIXème siècle et qui furent récupérés comme “compensation de dommages de guerre” par le traité de Versailles.
Un pourcentage très important des collections de plusieurs grands musées pourrait être concerné par ce nouvel ordre moral. Alors que ces musées ont précisément vocation à célébrer la richesse des autres cultures et à les exhiber aux citoyens du monde, cette idéologie aboutirait à considérer que seuls les pays d’origine peuvent encore détenir ces pièces. Est-ce cela la vision de la culture de 2022 ? Alors même que nos sociétés occidentales se composent de citoyens trouvant leurs origines aux quatre coins du monde ?
Si l’on tient tant à suivre l’air du temps, celui-ci n’est-il pas davantage aux coopérations et échanges entre pays ? Pour reprendre l’exemple du Congo, est-ce vraiment de la restitution d’oeuvres coloniales dont ce pays a le plus besoin ? Rendre des pièces à une nation dont ce n’est pas la priorité, pour se donner bonne conscience, alors que les échanges culturels ont toujours bien fonctionné entre les deux nations ? La meilleure preuve en est que la Belgique a joué un rôle important dans la construction des collections congolaises après l’indépendance par la formation de chercheurs congolais dans nos universités, de collecteurs belges employés pour les collectes ethnographiques devant aider à constituer les collections muséales congolaises. Sait-on même seulement que le premier directeur des musées nationaux zaïrois fut…un Belge ?
Bien au-delà de remises de pièce, il est loisible et souvent préférable d’investir dans une coopération muséale et scientifique. Il est possible d’envisager des modalités de circulation de collections, de collections partagées dans un possible MRAC-Kinshasa (comme il existe un Louvre Abu-Dhabi), d’acquisition d’objets pour les collections des musées congolais… La question de la préservation et de l’accessibilité d’un patrimoine culturel s’impose si on veut promouvoir le dialogue des cultures dans notre monde fracturé. Sans oublier, et cela est le plus important, de prendre en considération ce que souhaite vraiment le gouvernement congolais en termes de partenariat avec notre pays. Peut-être celui-ci souhaite-t-il collaborer en premier lieu sur la santé, l’enseignement ou la sécurité ? Ou travailler ensemble sur des projets d’infrastructure?
Enfin, il ne faut pas douter que d’autres exigences de restitutions suivront et seront d’autant plus compliquées à gérer si on adopte une position démagogique avec le patrimoine africain issu de la colonisation. Nos musées ne peuvent se contenter de devenir des réservoirs à cadeaux diplomatiques. Si demain, les intérêts de certains politiques se tournent vers la Chine, l’Inde ou d’autres pays d’Asie…devrons-nous encore sacrifier nos biens nationaux à ces nouvelles modes ?
Alexia Bertrand et Gaëtan van Goidsenhoven
Députés bruxellois (MR), respectivement juriste et historien
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