La croissance économique ne suffira pas à payer la facture du gouvernement “Vivaldi”

Georges-Louis Bouchez

Chacun devrait trouver son bonheur parmi les mesures reprises dans le préaccord Vivaldi. Pension minimale et refinancement des soins de santé pour les socialistes, pas de nouvelle taxe pour les libéraux et une sortie du nucléaire pour les verts. Mais qui paiera la note finale? Miser sur une croissance économique suffisante pour limiter l’impact sur les finances publiques reste dans tous les cas un espoir vain.

S’il n’y a pas encore eu de fumée blanche pour le gouvernement Vivaldi, les fondements de cette coalition, eux, existent déjà. En parcourant la note de préformation, il semblerait que chaque parti trouvera son bonheur dans l’accord final.

Selon les libéraux, une taxe sur les plus-values n’est plus au programme. En outre, le gouvernement Vivaldi n’aurait plus du tout l’intention de lever de nouvelles taxes, même s’il est toujours question d’une taxe digitale et d’une “contribution spéciale des citoyens aux épaules les plus larges” si la situation budgétaire l’exige.

Les socialistes obtiendront leur augmentation de la pension minimum à 1.500 euros. Bruts ou nets ? Après une carrière complète ou non ? Il reste des incertitudes. De plus, les dépenses réelles pour le secteur de la santé devraient passer de 1,5% à 2,5%. Prix total : 1,2 milliard d’euros. Les libéraux obtiennent aussi que le “budget pour les politiques nouvelles” soit limité entre 3 et 4 milliards d’euros, au lieu des 10 milliards prévus.

Pour les verts, la sortie du nucléaire est garantie. Le CD&V aura également sa réforme de l’état et une discussion sur le traitement des questions éthiques au sein du gouvernement.

Il y en a donc pour tous les goûts, mais à quel prix ? Les milliards alloués aux politiques nouvelles, la nouvelle norme de croissance des dépenses de santé, la pension minimale… tout cela demandera rapidement 6,6 milliards supplémentaires. À un moment où l’assainissement du budget ne fait pas vraiment partie des priorités. Au début du mois, il était encore question, au cours des négociations, de réduire le déficit budgétaire de 7,6% du PIB pour cette année à 3% d’ici la fin de la législature. Aujourd’hui, l’assainissement serait limité à seulement 0,1% par an, soit quelque 470 millions d’euros, et ce pour les prochaines années à venir.

De meilleures perspectives de croissance

Pour les hommes et les femmes qui animent notre scène politique, cela ne semble pas poser de problème. Ils espèrent que la Commission européenne sera indulgente. Pour l’instant, plus personne n’évoque un équilibre budgétaire ni un déficit de maximum 3% du PIB. Les futurs membres de la coalition se basent sur les données récemment mises à jour par le Comité de monitoring, le groupe de fonctionnaires chargé d’analyser les finances publiques. Pour 2021, le comité de monitoring prévoit un déficit fédéral de 24 milliards d’euros (5% du PIB), au lieu de 26 milliards. Cette diminution est due à de meilleures perspectives de croissance. Les experts avaient par ailleurs prévu que l’économie belge se contracte de 10,6% cette année, mais ce chiffre a été revu à la baisse. Il s’élève aujourd’hui à 7,4%. La croissance économique pour 2021 devrait s’élever à 6,5%.

En suivant ce raisonnement, on pourrait croire que le problème du déficit budgétaire et de la dette publique élevés (cette dernière étant passée de 100% du PIB à 118) se résoudra lentement de lui-même, puisqu’une augmentation de la croissance signifie plus de recettes publiques et moins de dépenses.

200% du PIB ?

Cet optimisme est déplacé. La croissance économique ne paiera pas la note Vivaldi. Et la reprise économique mènera encore moins à une diminution durable et continue du déficit budgétaire et de la dette publique. C’est là ce qui ressort d’une analyse de Johan Van Gompel, économiste chez KBC. Celle-ci repose sur une notion cruciale des finances publiques : le solde primaire, c’est-à-dire la différence entre les recettes et les dépenses, sans prendre en compte les taux d’intérêt. Un solde primaire négatif est la cause principale d’un déficit budgétaire (puisque les taux d’intérêt ne cessent de diminuer) et fait grimper la dette publique. Selon le Comité de monitoring, le solde primaire sera toujours de -3,9% du PIB en 2024, en supposant qu’aucun changement politique n’intervienne. “Si le déficit primaire reste aussi élevé après 2025, alors la dette pourrait atteindre 190% du PIB d’ici 2050. Si nous laissons encore ce déficit se détériorer, jusqu’à atteindre les coûts attendus du vieillissement de la population définis par le Comité d’étude sur le vieillissement, la dette pourrait même monter jusqu’à 235% en 2050”, explique Johan Van Gompel. Cette simulation prend en compte une croissance du PIB nominal de 3,3 % par an à partir de 2025 (1,2% de croissance réelle et 2% d’inflation). À elle-même, la croissance ne peut pas sauver les caisses de l’État.

Traduction : Sophie Brasseur

5% de croissance nominale ? Un objectif peu réaliste

L’économiste soutient qu’une croissance encore plus élevée, associée à des taux d’intérêt plus bas, ralentirait l’augmentation de la dette et rendrait les finances publiques plus saines. Mais ! “Pour cela, il faudrait nous baser sur des chiffres assez extrêmes. 2,5% de croissance réelle et 2,5% d’inflation par an, par exemple, ainsi qu’un taux d’intérêt implicite qui ne dépasserait pas les 1,5 % en 2035) pour que la dette se stabilise à partir de 2025 en conservant son niveau de 2024, avec un déficit primaire de -3,9%. Cela signifie qu’un assainissement du budget est essentiel si l’on veut réduire la dette.”

En conclusion : le prochain gouvernement doit travailler à un excédent primaire et conserver ce solde positif. La meilleure manière d’amener la dette publique vers 100% du PIB et même de la faire descendre sous ce seuil, est d’arriver à un excédent primaire de 1,7 % du PIB d’ici 2030. Selon les calculs de l’économiste chez KBC, cela signifie arriver à un déficit budgétaire général de 3% en 2024, à la fin de la législature.

Selon Johan Van Gompel, un assainissement favorable à la croissance le permettrait : “En augmentant l’efficacité du gouvernement, principalement en économisant au lieu d’imposer de nouvelles taxes, en rendant les taxes existantes plus écologiques, en ne coupant pas dans les investissements et en accompagnant l’assainissement de réformes structurelles propices à la croissance. Comme la réduction des charges administratives ou la transformation des marchés de l’emploi et des produits en marchés plus flexibles.” Ainsi, nous pourrions mettre un terme à la détérioration des finances publiques et même inverser la tendance, tout en stimulant la croissance potentielle. Je suis curieux de voir si la nouvelle troupe Vivaldi, haute en couleur, sera prête à le faire.”

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