Bruno Wattenbergh

La crise sanitaire est une opportunité pour tous les services publics

Bruno Wattenbergh Professeur de Stratégie et d'Entrepreneuriat à la Solvay Brussels School of Economics and Management

Cela fait maintenant six mois que nous traversons la pandémie du COVID-19, et nos gouvernements restent dans l’oeil du cyclone

Ceux-ci ont déployé des efforts sans précédent pour préserver des vies et le pouvoir d’achat en gardant les gens chez eux et en subventionnant les salaires. Le temps est venu de lever progressivement les restrictions pour relancer la société et l’économie sans perdre le contrôle du taux d’infection et surtout des hospitalisations.

Mais le temps est aussi venu de s’inspirer de l’épreuve que nous venons de traverser.

Presque du jour au lendemain, état, régions, villes et communes ont développé les moyens permettant d’assurer la continuité – et la résilience – de services publics vitaux en dotant leurs fonctionnaires du matériel, des outils et des compétences nécessaires pour travailler à distance. Ils ont élargi les canaux numériques pour interagir avec les citoyens et les entreprises, suivre la maladie, communiquer les réglementations de distanciation sociale, partager des informations importantes sur la santé, élaborer et mettre en oeuvre des plans de rétablissement et, dans certains cas, intensifier massivement les capacités de test et de traçage.

Dans certains pays, ces pouvoirs publics ont sauté le pas vers des technologies mobiles (telles que Bluetooth et GPS), l’automatisation (pour accélérer et sécuriser les processus critiques), l’analyse (pour gérer des ensembles de données complexes) et l’apprentissage automatique (pour faciliter leurs efforts de réponse).

Cela fait beaucoup de révolutions, dans un très court laps de temps. Il n’y a pas, dans l’histoire contemporaine, d’exemple d’une aussi rapide et importante évolution pour les gouvernements et la manière dont ils fonctionnent.

A cause du (grâce au ?) COVID-19, la transformation numérique s’est accélérée, conduisant à des déploiements rapides de portails numériques sur le chômage, de prêts aux entreprises et d’autres contributions pour soulager les économies en situation de verrouillage. Dans des pays comme la Belgique, l’Allemagne, la France, les États-Unis et le Royaume-Uni, les ministères des Finances ou de l’Économie ont élaboré et mis en oeuvre des plans de sauvetage financier et économique à grande échelle dans un laps de temps très court – dans certains cas, traversant des décennies d’orthodoxie politique et administrative en seulement quelques jours.

Dans ces circonstances exceptionnelles, la plupart des gouvernements ont plus que correctement relevé le défi, prouvant que le secteur public a la capacité d’être agile et innovant dans un contexte d’urgence, avec moins de fonctionnaires capables de travailler à pleine capacité dans des conditions de confinement.

Mais la crise a aussi révélé de cruelles vérités. Ces dernières années, de nombreux gouvernements ont tardé à faciliter le travail à distance, à utiliser les données et la technologie pour transformer leur fonctionnement et à utiliser ces technologies pour améliorer les services et les programmes qu’ils offrent aux citoyens. Pensons simplement chez nous au secteur de la justice.

Mais c’est le cas aussi, par exemple, dans le secteur de l’éducation. Depuis un certain temps déjà, la technologie offre aux gouvernements la possibilité d’intégrer l’expérience de l’apprentissage à distance dans le quotidien des écoliers en complément de l’apprentissage en classe. Bien que cela ne remplace cette expérience en classe (ou la garde des enfants que les écoles fournissent pendant que les parents travaillent), des bases solides pour l’apprentissage à distance auraient pu être mises en place depuis longtemps. Elles auraient permis d’habituer enseignants, enfants et parents à une évolution pédagogique incontournable. Si cela avait été le cas, certaines infrastructures, outils et compétences pédagogiques en ligne auraient existé pour faciliter plus et mieux d’apprentissage en ligne pendant le confinement.

Dans la grande majorité des cas, les enseignants n’ont pas été formés pour dispenser un apprentissage à distance, et les outils et l’infrastructure n’ont pas été mis en place pour que les enfants puissent y participer.

Le coût social et économique de ne pas prendre ce type d’action a été clairement établi par cette crise : les enfants ont vu leur apprentissage réduit, les parents ont dû s’absenter du travail pour enseigner à la maison et ces carences ont creusé un peu plus encore la discrimination entre les enfants favorisés et les enfants défavorisés.

Si l’on reste dans le secteur de l’éducation, il y a des exceptions intéressantes à analyser. En Australie, par exemple, des réflexions et une action rapide ont contribué à instaurer la continuité de l’enseignement en dépit du confinement. Mais aussi à préparer la voie vers un apprentissage plus à distance qu’auparavant.

Il faut reconnaître que la pandémie de COVID-19 s’est installée plus tard en Australie par rapport à d’autres pays avancés. Le gouvernement australien avait donc plus de temps pour se préparer. Les organismes éducatifs australiens ont utilisé ce répit pour renforcer les capacités d’urgence d’enseignement en ligne lorsque les écoles ont fermé, mais ils ont également travaillé sur un nouveau modèle opérationnel pour accélérer la transformation numérique du secteur, notamment par le biais de l’utilisation de données et d’analyses.

Nous savons pertinemment bien dans le secteur privé qu’une nouvelle technologie pour révéler son plein potentiel a le plus souvent besoin d’une évolution concomitante du modèle opérationnel … et c’est ce que les australiens ont voulu et su faire.

S’il est plus facile de repérer ces opportunités avec un certain recul, cet exemple montre comment une politique d’innovation peut améliorer l’efficacité et la résilience des services publics, tout en préparant le terrain pour un choix et une qualité accrus de ces services à l’avenir. Des décisions rapides et volontaristes ont rendu cette transformation possible, démontrant que les crises peuvent aussi se révéler des opportunités de mieux servir les citoyens.

Le grand risque, régulièrement martelé par tout un chacun, est aujourd’hui que nous revenions à la normale sans tirer les leçons de la pandémie. Et bien, c’est aussi le cas pour les pouvoirs publics.

Cadastrer ce qui a fonctionné et ce qui n’a pas fonctionné reste difficile car nous sommes toujours en crise. Mais les meilleurs gouvernements ont d’ores et déjà désigné des responsables pour établir un tel cadastre.

En termes concrets et opérationnels, ces gouvernements ont une formidable opportunité de profiter de ce moment-ci pour réfléchir en profondeur à la manière dont les modèles opérationnels peuvent être repensés pour l’avenir. Avec un objectif de base : renforcer l’indispensable résilience des services publics,… de tous les services publics. Et pas uniquement des hôpitaux.

Qu’est-ce que cela peut signifier en pratique ? Une meilleure utilisation des données, de la technologie et des processus numériques pour améliorer l’efficacité interne et augmenter la valeur pour les citoyens et entreprises utilisateurs ; une évolution de la culture vers “l’empowerement” l’autonomie, le rôle de facilitateur et pas uniquement de contrôleur, de moteur de changement, … etc.

Par ailleurs, de plus en plus de fonctionnaires et de citoyens se sont appuyés sur les canaux numériques pour fournir et recevoir des services – ils ont fait l’expérience de la gouvernance numérique et ont vu de leurs yeux que cela pouvait fonctionner. Leurs attentes en matière de services multicanaux plus pratiques et personnalisés vont légitimement croître et les gouvernements ne pourront que répondre à cette demande.

Ceci nécessite bien sûr de tenir étroitement compte des risques liés à ces technologies. Le numérique nous a aidé dans cette crise, c’est incontestable. Mais que se passerait-il si la prochaine grande crise est une cyberattaque nationale ou internationale qui fait tomber les infrastructures numériques ? Comment les gouvernements fourniraient-ils des services publics essentiels dans ce scénario ?

Pour renforcer une véritable résilience et se préparer pleinement aux crises futures, les gouvernements doivent donc d’abord tirer les leçons de la crise actuelle, cadastrer les réussites et les échecs et développer un plan global de redéploiement de la technologique et culturelle nécessaire dans les services publics.

Bruno Wattenbergh

Senior Advisor EY – Ambassadeur de l’Innovation d’EY

Professeur de Stratégie et d’Entrepreneuriat à la Solvay Brussels School of Economics and Management

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