La Chine nous pousse vers la récession
La Chine s’est mise dans une position économique difficile en s’entêtant dans sa politique du “zéro covid”. Et le monde entier paie le prix fort pour cette fierté chinoise. Ce nouveau tour de vis aux chaînes d’approvisionnement pourrait être un coup dur pour la zone euro qui essaye d’éviter une récession. “Nous ne réalisons pas ce qui nous arrive”, selon Tom Wenseleers, biostatisticien à la KU Leuven.
“Je ne comprends plus la Chine. Même un enfant peut se rendre compte que la politique du “zéro covid” n’est plus viable”. “La Chine n’est pas une île. Si le reste du monde a choisi la vaccination comme moyen de sortir de la pandémie, la Chine doit suivre. Et si vous attendiez une politique de vaccination obligatoire d’un régime, alors cela ne peut que venir de la Chine, non ?”
Cependant, dès le début, la Chine a adopté une stratégie de tests, de restrictions sur les voyages et de quarantaines pour réprimer rigoureusement les épidémies de covid-19. Cette stratégie a été couronnée de succès pendant longtemps. Bien que les experts remettent en question les statistiques chinoises officielles, les taux d’infection et de mortalité en Chine n’étaient pas aussi élevés que dans le reste du monde. Les dommages économiques ont également été limités, certainement en comparaison avec le marasme qu’a connu l’Occident. L’économie chinoise a augmenté aujourd’hui de plus de 10 % par rapport à ce qu’elle était au début de la pandémie en 2020, tandis que l’économie de la zone euro se remet à peine de ce choc.
Mais la politique du “zéro covid” est actuellement dépassée. Les nouveaux variants du coronavirus sont plus contagieux, la couverture vaccinale en Chine est faible, en particulier parmi la population âgée qui est la plus vulnérable. La qualité des vaccins chinois est inférieure aux normes occidentales et il n’existe pas d’immunité collective résultant d’infections antérieures. “Si vous laissez le virus circuler en Chine, vous risquez des millions de morts. Le pays est donc condamné à des confinements sévères pour longtemps. Même si le nombre d’infections, par exemple à Shanghai, est à nouveau sous contrôle, cet équilibre ne sera jamais stable. Dès que le confinement sera levé, le nombre d’infections augmentera à nouveau”, explique Tom Wenseleers. “La seule solution durable est de suivre l’exemple occidental. Cela signifie vacciner la population en masse avec les vaccins de Pfizer ou Moderna. L’Australie et la Nouvelle-Zélande ont également opté, dans un premier temps, pour une politique de “zéro covid”, mais lorsque cette approche est devenue intenable, elles ont opté pour la stratégie de vaccination.”
La Chine de Xi Jinping persiste dans cette stratégie pour l’instant. “Le parti a fait de la politique du “zéro covid” une vitrine en s’appuyant sur son succès initial. Faire marche arrière maintenant serait perdre la face”, déclare Filip Abraham, professeur d’économie internationale à la KU Leuven. De nombreux observateurs ne s’attendent certainement pas à un changement de cap avant le congrès du parti à l’automne, qui doit désigner, pour un troisième mandat, Xi Jinping comme leader absolu de la République populaire.
Une récession en Chine ne peut pas être exclue
Les dommages économiques s’accumulent. Un confinement de plusieurs semaines d’une métropole comme Shanghai frappe durement l’économie. À Pékin et dans d’autres villes également, la population, c’est-à-dire les consommateurs et les travailleurs, risque d’être bloquée pendant encore longtemps. La production s’essouffle car les chaînes d’approvisionnement ne sont plus alimentées. La consommation est sous pression car les familles ne sont pas autorisées à quitter leurs appartements. Les indicateurs économiques ne mentent pas. La confiance dans l’industrie manufacturière a fortement chuté en avril, à des niveaux qui suggèrent une contraction de la production. Les entrepreneurs croient toujours que le covid-19 sera maîtrisé, mais ils craignent que la bataille ne s’éternise, selon les sondages.
Le secteur des services en Chine raconte le même scénario. Son activité est tombée à des niveaux qui n’ont été observés qu’en février 2020. Mais les chefs d’entreprise gardent leur sang-froid, estimant que la consommation reprendra rapidement une fois les restrictions levées. Il s’agit d’une évaluation optimiste de la situation, car sans une stratégie de vaccination solide, les confinements se répèteront en une histoire sans fin.
Officiellement, le gouvernement s’en tient à son objectif de croissance de 5,5 % pour cette année, mais le Fonds monétaire international (FMI) a déjà réduit ses prévisions de croissance pour la Chine à 4,4 %. Pire, certains économistes n’excluent pas une récession, avec deux trimestres consécutifs de croissance négative. Ce serait particulièrement interpelant, car la Chine n’a connu qu’un seul trimestre de croissance négative depuis 1993. Toutefois, une récession n’est pas à exclure, car même sans nouvelle forme de variant, l’économie chinoise n’est pas en grande forme. Le marché de l’immobilier, un moteur essentiel de la croissance, souffre toujours de l’explosion de sa bulle. Les entreprises technologiques chinoises ne se remettent pas encore du remaniement que leur a imposé le gouvernement. Et la Chine n’échappe pas aux prix élevés de l’énergie et des produits de base qui grignotent le pouvoir d’achat des consommateurs et pèsent sur les marges bénéficiaires des entreprises.
Bien entendu, le régime ne reste pas inactif face aux problèmes économiques. La Chine tente d’éviter un ralentissement de sa croissance économique avec de nouveaux projets d’infrastructure, même si elle revient alors à l’ancien modèle de croissance, que le Parti lui-même a qualifié d’insoutenable. La monnaie chinoise s’est dépréciée trop rapidement ces dernières semaines pour pouvoir digérer également une baisse des taux d’intérêt. La faiblesse du taux de change suggère que les traders pensent aussi que la Chine s’est mise dans une position délicate depuis longtemps.
Des conséquences pour nous
Lorsque la Chine, première usine du monde, attrape un rhume, le reste du monde éternue. Pour la zone euro, cela pourrait faire la différence entre un fort ralentissement de la croissance et une vraie récession. La zone euro est déjà à bout de souffle en raison d’une inflation élevée et du choc provoqué par la guerre en Ukraine. Le ralentissement de la demande chinoise affecte principalement les pays qui exportent vers ce pays. Cela inclut de nombreux pays asiatiques, mais aussi dans la zone euro l’Allemagne, et donc par conséquence la Belgique, en tant que fournisseur de l’Allemagne. En outre, la Chine exerce une nouvelle pression sur les chaînes d’approvisionnement, ce qui entraîne une hausse des coûts pour les entreprises.
Mais un ralentissement de la croissance chinoise a également un côté positif, car une baisse de la demande en Chine pourrait entraîner une chute des prix des produits de base, même si les analystes craignent que la logistique, plus coûteuse, ne soit finalement le facteur décisif. “Le nouveau choc économique chinois signifie que les banques centrales devront intervenir davantage pour maîtriser l’inflation. Le risque de récession est plus important qu’il y a quelques semaines. Toutes les institutions ajustent leurs prévisions de croissance. Cette tendance à la baisse en dit beaucoup plus que les prévisions elles-mêmes”, déclare Filip Abraham.
Les lockdowns et les restrictions de voyage imposées par la Chine ont un impact considérable sur les chaînes logistiques du monde entier. Les terminaux du port de Shanghai fonctionnent à 50% de leur capacité. Plus de 300 navires dans le plus grand port à conteneurs du monde sont retardés ou bloqués. Des navires sont également ancrés dans d’autres ports chinois en attente de traitement. Il existe également d’autres problèmes d’approvisionnement, car de nombreux chauffeurs routiers sont contraints de rester à la maison ou alors les terminaux ne sont pas plein en raison d’un manque de main-d’oeuvre.
“C’est vraiment trop fou pour être dit. Nous ne réalisons pas encore vraiment ce qui nous attend”, déclare Robert Boute, professeur de logistique à la Vlerick Business School. “Vingt pour cent de tous les conteneurs du monde sont bloqués dans les embouteillages devant les ports chinois. Il y aura à nouveau une pénurie importante de conteneurs, ce qui entraînera une hausse substantielle des prix, en plus d’une augmentation du coût du carburant. Le secteur de la logistique ne sait plus où donner de la tête. La combinaison de la guerre en Ukraine, des nouveaux confinements en Chine et des coûts énergétiques élevés constitue une nouvelle tempête pour la logistique. 2022 sera encore plus difficile que 2021 et 2020”.
La récente reprise des chaînes d’approvisionnement, dont témoigne la diminution des délais de livraison, a fait place à un nouveau stress, à des temps d’attente plus longs et à des pénuries de tout. “Je crains un effet “boule de neige”. Lorsque les entreprises se rendront compte que les pénuries sont à nouveau imminentes, elles commanderont plus que ce dont elles ont besoin, ce qui mettra encore plus de pression sur les chaînes d’approvisionnement”, explique Robert Boute. “Pour de nombreuses entreprises, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Je vois de plus en plus d’entreprises qui produisent ou achètent localement, et qui travaillent sur des lignes d’approvisionnement alternatives. Ce n’est pas un luxe, car le problème ne sera pas résolu en quelques mois.”
Nous allons donc nous aussi payer un lourd tribut pour cette fierté chinoise, dont nous pourrons tirer les leçons nécessaires. Filip Abraham : “Par le passé, nous avons bénéficié d’une production bon marché en Chine. Nous vivons actuellement le revers de la médaille. La leçon que nous tirons est que vous ne pouvez pas devenir trop dépendant d’un seul ou d’un nombre limité de fournisseurs. Nous avons maintenant appris la même leçon pour notre approvisionnement en énergie. Bien sûr, il n’est pas aisé de diversifier les chaînes d’approvisionnement, mais de nombreuses entreprises ont commencé à le faire. La Chine reste un endroit intéressant pour faire des affaires, mais elle n’est plus le lieu de production privilégié comme elle l’était auparavant, à cause des salaires chinois maintenant plus élevés, des considérations géostratégiques et de l’expérience récente de la pandémie.”
20 % des conteneurs du monde sont en attente dans les ports chinois.
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