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“La Belgique, un pays inadapté face à l’avenir”

Ne rien faire, disait un humoriste britannique, n’est vraiment agréable que s’il y a beaucoup de travail en retard. C’est bien vrai. Quel plaisir y a-t-il en effet à retarder un permis de construire s’il s’agit de bloquer un projet quelques jours ? Le vrai délice, c’est de pouvoir geler une initiative pendant 30 ans.

Prenez ainsi le projet du RER, qui devait désengorger Bruxelles et fluidifier le trafic au centre du pays. L’idée date du début des année 1990, un projet sort en 1995 avec des lignes qui doivent être opérationnelles en 2002… Nous voici fin 2019, le RER n’est toujours pas là. Nous apprenons ces derniers jours qu’une des lignes les plus attendues, la 124 qui doit relier Nivelles à Bruxelles, devrait être ouverte en… 2031. Si tout va bien… Car cette ligne qui traverse les trois Régions attend toujours, de la part des autorités régionales flamandes et bruxelloises, le permis qui doit permettre de passer à quatre voies. Les autres lignes du RER ne sont pas vraiment mieux loties : elles ne devraient être terminées, au plus tôt, que dans six ans.

Mais qu’est-ce qui pousse les pouvoirs publics à un tel immobilisme sur un dossier qui, de l’avis de tous, devrait demander de l’action ? Car un réseau RER est, à l’évidence, bon pour l’environnement, la productivité, la qualité de vie… Bien sûr, on mettra en avant la complexité institutionnelle du dossier, ses inévitables aspects communautaires (Theo Francken s’intéresse-t-il vraiment à la qualité de vie des Brabançons francophones ? ), son coût, etc.

Cette tendance à la procrastination est fortement ancrée dans le pays. Au-delà du RER, on constate une impuissance pathologique à mener des actions de long terme sur nombre de dossiers. Nous attendons que des tunnels s’effritent sur les voitures pour les réparer ; nous n’avons toujours pas de stratégie énergétique alors que nous sommes censés être sortis du nucléaire dans cinq ans ; nous n’avons pas remis en ordre nos finances publiques au début des années 2000 alors que nous avions les moyens de le faire ; et notre enseignement se traîne toujours dans le bas du classement de l’OCDE, empêchant un grand nombre de jeunes d’aborder leur vie sous les meilleurs auspices.

Cette incapacité commence à énerver. Une instance comme le Conseil central de l’économie (CCE), organisation paritaire réunissant syndicats et employeurs qui n’a pas la réputation d’être hystérique, a haussé le ton en remettant son dernier rapport emploi-compétitivité destiné au prochain gouvernement. Au-delà des priorités bien connues (booster l’innovation, l’économie circulaire, assurer la soutenabilité de notre système de sécurité sociale, travailler la mobilité et la transition énergétique, surveiller les prix, etc.), le CCE pointe notre grand problème : l’immobilisme, l’incapacité de penser au-delà d’une législature. ” La Belgique, dit le CCE, est inadaptée sur le plan socio-économique dans une perspective de long terme. ” Le constat est dur ! ” On ne va pas se mentir, commente le secrétaire général du CCE dans La Libre. On sait que les moyens sont limités, et c’est bien pour cette raison qu’il y a urgence à déve-lopper une vision claire de l’avenir pour mettre fin à ces incertitudes qui minent notre société. ” Car ailleurs, on bouge : l’Allemagne a réformé son marché du travail et son enseignement au début des années 2000, les Pays-Bas ont investi dans les infrastructures et resserré les boulons budgétaires il y a des années déjà, et même en France, de grande réformes sont désormais sur la table.

C’est sans doute la même impatience que celle qui a fait dire à la nouvelle Première ministre, Sophie Wilmès, que ” les affaires courantes ne nous laissent pas énormément de possibilités d’agir ” et qu’elle appelle donc à la formation d’un gouvernement de plein exercice au plus vite. Un gouvernement de plein exercice qui prendrait à bras-le-corps ces projets de long terme. Il y a comme un sentiment d’urgence.

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