La Belgique est-elle un Etat fédéral efficace? Non, peut-être…
Les chercheurs du Crisp publient un dossier montrant les fragilités de notre système fédéral et soulignent que l’on dénonce parfois son inefficacité pour camoufler des reponsabilités politiques.
La Belgique est un Etat fédéral singulier. Tel est le constat posé par le Centre de recherche et d’information socio-politiques (Crisp) et le titre du numéro 2500 de son “courrier hebdomadaire”. Pour objectiver cette affirmation, ses quatre auteurs – Jean Faniel, Cédric Istasse, Vincent Lefebve et Caroline Sägesser – ont mené un travail comparatif avec vingt-neuf Etats fédéraux de par le monde.
“Tout d’abord, souligne Cédric Istasse, la Belgique est un Etat fédéral authentique. A savoir que la législation n’émane pas d’une source unique. Il est n’est pas né par association, comme la plupart des Etats fédéraux, mais par dissociation.” Cette séparation progressive des entités fédérées est issue d’un conflit linguistique devenu le vecteur et la source d’approfondissement permanente d’un processus qui semble sans fin. Même si chaque réforme de l’Etat semble être la dernière, ce n’est jamais le cas.
Plus que tout autre Etat fédéral dans le monde, à part la Bosnie, la Belgique est sans cesse au bord de la rupture….
Un Etat fédéral instable
L’Etat fédéral belge est aussi singulier parce qu’il est composé d’entités asymétriques – les Régions et les Communautés – qui se superposent. Singularité complémentaire: celles-ci disposent de compétences exclusives – il n’y a pas de préséance de l’Etat fédéral, pas de hiérarchie des normes… L’ensemble est d’autant plus compliqué à gérer que ces compétences exclusives sont aussi le fruit d’un saucissonage particulièrement complexe, d’une crise à l’autre.
La Belgique, prolonge encore Cédric Istasse, est une démocratie marquée par la particrate et une multiplicité d’acteurs dont l’interaction détermine le processus politique. “C’est aussi un Etat multipolaire, mais qui a la particularité de se considérer comme bipolaire, avec un bloc francophone contre un bloc flamand”, dit-il.
Les auteurs soulignent encore que c’est un Etat fédéral en chantier permanent, avec des francophones considérant que le processus va trop vite, trop loin, tandis que les Flamands considérent qu’il faut aller utiliser les compétences au maximum , voire aller plus loin – et le concrétisent déjà dans les faits comme en témoigne la récente réforme des rythmes scolaires ou le fait que Zuhal Demir (N-VA) soit déjà ministre flamande de la Justice – une compétence fédérale.
C’est un fédéralisme évolutif, instable par essence. “Rien ne dit que la septième réforme de l’Etat que l’on annonce pour 2024 sera la dernière”, estiment-ils.
Efficace? En partie…
Se pose alors la question que se posent tous les leaders économiques de ce pays: cet Etat fédéral est-il efficace? Et peut-on objectiver le constat? “C’est une question fondamentale à laquelle il n’est pas facile de répondre”, souligne Caroline Sägesser. Selon elle, la crise du Covid a montré que notre fédéralisme pouvait fonctionner de façon assez efficace. “La concertation au sein du Codeco s’est globalement bien passée”, dit-elle. Non sans préciser que “la complexité insititutionnelle a parfois bon dos pour masquer des responsabilités politiques” plus particulières, comme en a témoigné la saga des masques et la destruction des stocks stratégiques à la demande de la ministre de la Santé, Maggie De Block (Open VLD).
Par contre, il existe des domaines où notre fédéralisme fait preuve d’une inefficacité coupable, singulièrement dans les compétences relatives à la mobilité ou à l’environnement, et notoirement lorsque Bruxelles est impliquée. La Région capitale est “le noeud gordien” de notre fédéralisme, le trait d’union du pays, rendant son fonctionnement particulièrement complexe.
Les auteurs épinglent deux autres spécificités au fédéralisme belge qui expliquent sa fragilité – et sa possible inefficacité: l’absence de partis fédéraux – c’est unique – et l’absence de hiérarchie des normes.
“Il manque encore une autre grande étude objectivant le coût de l’évolution de notre fédéralisme“, complète Caroline Sägesseur. A savoir la masse de travail, d’énergie, de doublons, voire d’argent perdu que représentent les multiples transferts de compétences qui ont eu cours au fil du temps.
“Cette complexité institutionnelle, rappelle toutefois Vincent Lefebve, est aussi le prix de la paix civile“. En ces temps géopolitiques troublés, il faut le dire, ce n’est pas rien.
“La Belgique, un Etat fédéral singulier”, courrier hebdomadaire du Crisp n°2500, 266 p.
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