La BEI injecte entre 1 et 2 milliards d’euros par an en Belgique. Mais dans quoi?

Le siège de la BEI à Luxembourg. L'institution, qui fête ses 60 ans, a une règle d'or: ne jamais investir en solo. © GETTY

Depuis 60 ans, le bras financier de l’Europe aide à financer les grands investissements publics comme le ring d’Anvers ou les autoroutes wallonnes. Mais l’institution peut également donner un coup de pouce aux entreprises, et elle voudrait même le faire davantage en Belgique.

“Si vous faites partie de la catégorie des entreprises intermédiaires (jusqu’à 3.000 employés), que vous avez un projet d’investissement d’au moins 40 millions d’euros et que vous êtes actifs dans un secteur innovant, nous aimerions vous rencontrer. ” Une banque qui cherche des clients, ce n’est pas inhabituel. Mais quand il s’agit de la Banque européenne d’investissement, la ” banque de l’Union européenne ” dont le capital est détenu par les Etats membres, c’est plus original. Cet appel à candidatures est en effet lancé par Jean-Christophe Laloux, directeur général et chef des opérations de prêt à la BEI et principal responsable belge au sein de l’institution.

Se faire financer pour partie par la BEI procure de nombreux intérêts.

La BEI est peu connue du grand public, mais c’est la principale banque de développement internationale au monde, avec une activité qui dépasse celle de la Banque mondiale. Elle finance l’équivalent d’environ 70 milliards d’euros de prêts chaque année, principalement en Europe, pour soutenir des projets qui répondent aux axes fixés par l’Union européenne : renforcer les infrastructures, répondre aux menaces sur le climat, renforcer la cohésion de l’Union ou encourager le développement des PME et des entreprises innovantes.

Chaque année, elle injecte ainsi entre 1 et 2 milliards d’euros dans l’économie belge, essentiellement sous forme de prêts et accessoirement sous forme de garantie ou de participation au capital (au travers de sa filiale, le Fonds européen d’investissement). La banque, qui fête ses 60 ans, a une règle d’or : ne jamais financer un projet en solo. Elle prête au maximum 50% du montant nécessaire à un projet, à charge de l’emprunteur (entreprise ou pouvoirs publics) de financer le reste.

Des exemples ? C’est en partie de l’argent de la BEI qui a permis d’achever l’A8 (Bruxelles-Tournai), de refaire l’E25 et l’E411, de construire le tunnel de Cointe, de rénover les écoles francophones. La BEI finance le grand chantier de la liaison Oosterweel qui doit boucler le ring d’Anvers : un milliard d’euros versé à la Flandre (son plus grand prêt à un acteur belge). Elle est présente dans le projet du tram de Liège qui sera construit, on le sait depuis quelques jours, par les Espagnols de CAF : l’institution prêtera 210 millions à la Société régionale wallonne des transports.

La BEI a cofinancé tous les acteurs de l’eau en Belgique. Elle a par exemple prêté au cours des 14 dernières années 1 milliard d’euros à la SPGE pour l’épuration des eaux wallonnes. Elle est également très présente dans le financement des hôpitaux – ” tous les projets hospitaliers de ces dernières années ont été cofinancés avec notre aide”, précise Pierre-Emmanuel Noel, qui représente la BEI en Belgique – et elle a joué un rôle majeur dans la création du parc éolien offshore du pays puisqu’elle en a cofinancé la quasi-totalité (95%).

Toutefois, à côté de ces grands projets d’infrastructure, il y a aussi un volet, moins connu, de soutien aux entreprises et notamment aux PME.

Des outils classiques…

Jean-Christophe Laloux, directeur général et chef des opérations de prêt à la BEI
Jean-Christophe Laloux, directeur général et chef des opérations de prêt à la BEI ” Depuis son origine, la BEI a prêté 29 milliards à des emprunteurs situés en Belgique. Et sur ces 29 milliards, 7 ont été prêtés à des banques pour financer les PME. “© PG

” Depuis son origine, la BEI a prêté 29 milliards à des emprunteurs situés en Belgique. Et sur ces 29 milliards, 7 ont été prêtés à des banques pour financer les PME “, rappelle Jean-Christophe Laloux.

Par le passé, ce soutien aux PME s’effectuait en effet surtout par le biais de ” prêts globaux ” : la BEI prêtait à une banque à de bonnes conditions mais, en contrepartie, cette banque s’engageait à octroyer avec cet argent des crédits à des PME à des conditions avantageuses. Ces crédits étaient par exemple de plus longue durée ou assortis de taux meilleur marché que les taux standards. Mais depuis 2016, cet outil, pour ce qui touche à la Belgique, dort dans les tiroirs car la loi bancaire de 2016, qui taxe les dépôts bancaires, frappe aussi les prêts globaux de la BEI. Du coup, comme les banques répercutent cette taxe dans les conditions des crédits aux PME, ces prêts globaux ne sont plus compétitifs par rapport aux crédits bancaires standard…

Ce qui, en revanche, reste utilisé par les grandes banques du pays est ce qu’on appelle le capital relief (la libération de capital). La BEI garantit une partie du portefeuille de crédits aux PME d’une banque qui ne doit donc plus mobiliser une partie de ses fonds propres face à ces crédits. ” Nous libérons ainsi de la capacité sur le bilan des banques à condition qu’elles effectuent de nouveaux prêts aux PME “, explique Jean-Christophe Laloux. Les quatre grandes banques du pays bénéficient de cette mesure.

La BEI, via sa filiale de capital risque (le FEI ou Fonds européen d’investissement), participe aussi indirectement au capital de certaines PME en investissant dans des fonds qui eux-mêmes prenaient des participations dans les entreprises. Le FEI fait ainsi partie, chez nous, du tour de table de Capricorn.

Toutefois, face à cette panoplie d’outils qui aident les PME de manière indirecte, ” nous avons aussi depuis quatre ans la possibilité de financer en direct des projets dont le coût d’investissement total est de minimum 40 à 50 million d’euros proposés par des entreprises innovantes de taille intermédiaire “, explique Jean-Christophe Laloux.

… et d’autres qui le sont moins

Cet investissement direct s’effectue souvent par le biais d’instruments hybrides, entre actions et obligations. ” Nous négocions une rémunération différée dans le temps qui consiste en un taux d’intérêt fixe, plus une rémunération variable qui peut prendre différentes formes, et notamment celle de warrants qui nous permettent de partager le succès financier de la société dans laquelle nous investissons. Cela nous permet d’accompagner les sociétés innovantes en forte croissance, ajoute le directeur général de la BEI. Cet instrument s’appelle le venture debt. Et depuis sa création il y a quatre ans, nous avons réalisé environ une centaine d’opérations de ce type, dont trois ou quatre en Belgique. ” Voici un peu moins d’un an, Materialise, une entreprise de Louvain spécialisée dans l’impression 3D a par exemple signé avec la BEI/FEI un crédit de 35 millions d’euros afin de l’aider dans ses projets de recherche et développement.

” Se faire financer en partie par la BEI procure certains intérêts, affirme Jean-Christophe Laloux. D’abord, celui de disposer du cachet de notre institution. Nous perdons rarement de l’argent, parce que nous sommes sérieux en termes de due diligence ( enquête préalable à une transaction, Ndlr). Les entreprises nous disent toutes la même chose, poursuit-il : vous êtes embêtants parce que le processus est long et difficile, mais nous sommes contents de l’avoir fait parce que cela nous a permis de recadrer certains points et nous sommes contents du résultat. En outre, les conditions de financement sont généralement meilleures que celles du marché (des durées de prêt plus longues ou des taux d’intérêt plus souples ou plus attractifs), ce qui permet de réaliser l’investissement plus rapidement, ou à plus grande échelle. Et puis, ajoute-t-il, nous pouvons convaincre certains autres partenaires de nous rejoindre, en offrant par exemple des prêts subordonnés ou un peu plus longs que les autres. ”

Cet intérêt pour les entreprises de taille moyenne n’empêche pas la BEI de continuer à prêter aux grandes entreprises qui ont des projets dans l’infrastructure, l’environnement, la recherche et développement.

Proximus a ainsi reçu en début d’année de la BEI un prêt de 400 millions pour financer un plan d’équipement du pays en fibre optique et Ores, gestionnaire wallon du réseau de distribution de gaz et d’électricité, a signé au même moment un emprunt de 550 millions d’euros pour couvrir les investissements des cinq prochaines années.

Liaison Oosterweel La BEI finance ce grand chantier qui doit boucler le ring d'Anvers, soit 1 milliard d'euros versé à la Flandre (son plus grand prêt à un acteur belge).
Liaison Oosterweel La BEI finance ce grand chantier qui doit boucler le ring d’Anvers, soit 1 milliard d’euros versé à la Flandre (son plus grand prêt à un acteur belge).© BELGAIMAGE

Le cas UCB

La plupart du temps, il s’agit de prêts classiques, mais pas toujours. ” Avec le groupe biopharmaceutique UCB, nous avons réalisé une grande première européenne, explique Jean-Christophe Laloux. Nous cofinançons un portefeuille de six molécules en phase de développement clinique et notre rémunération est fonction de l’état d’avancement des recherches sur ces molécules. ” Ce prêt de 75 millions d’euros est en effet d’autant plus rémunérateur pour la BEI que ces molécules franchissent avec succès les divers essais cliniques.

La BEI, c’est aussi le financement des pouvoirs publics, des Etats jusqu’aux grandes agglomérations en passant par les intercommunales. Voici quelques jours, in-BW, l’intercommunale du Brabant wallon a reçu de la BEI un prêt de 80 millions d’euros qui va l’aider à financer une cinquantaine de projets, allant de la gestion de l’eau à la gestion des déchets en passant par l’expansion économique.

“Smart cities”, déjà un milliard

Toutefois, un des grands thèmes est le financement des projets de smart cities présentés par les communes. Le système se rapproche fort des prêts globaux des PME : la BEI prête une enveloppe globale à une banque, en l’occurrence Belfius, qui a dédié une équipe à cette activité.

” Pour être qualifié de smart, les projets doivent au moins cocher deux des trois cases suivantes, explique Pierre-Emmanuel Noel. Un : répondre au défi du changement climatique et contribuer à réduire l’émission de gaz à effet de serre. Deux : favoriser la mobilité durable (mobilité douce, transports en commun, etc.). Trois : favoriser la régénération urbaine comme par exemple la revalorisation d’anciennes friches industrielles. ”

Un premier programme consistant en un prêt de 400 millions d’euros de la BEI a permis, avec l’appoint de financement de Belfius, de concrétiser 121 projets d’investissement totalisant 1 milliard d’euros. Et la BEI vient de conclure avec Belfius un deuxième programme similaire de 400 millions d’euros également. On ne change pas une formule qui gagne.

Le plan Juncker, c’est déjà plus de 8 milliards chez nous

Le titre est trompeur : le ” Fonds européen pour les investissements stratégiques “, outil issu du plan Juncker destiné à doper l’investissement en Europe, n’est pas un fonds d’investissement. C’est une assurance-crédit, un mécanisme de garantie d’un montant de 33,5 milliards d’euros, financé sur les budgets de l’Union européenne et la BEI.

La mise de fonds est donc – à l’échelle européenne – relativement modeste. Mais elle a un effet multiplicateur. Car cette somme permet à la BEI de faire des prêts supplémentaires par rapport à ce qu’elle fait en temps normal. Et comme l’institution ne finance qu’une partie des projets qu’elle soutient, l’effet de cette assurance est donc exponentiel : ces 33,5 milliards d’euros doivent en effet générer 500 milliards d’euros d’investissements supplémentaires en Europe d’ici 2020. L’objectif devrait être atteint : le plan Juncker a déjà permis jusqu’à présent à la BEI d’investir 69 milliards, dans des projets totalisant près de 360 milliards.

En Belgique, la BEI a investi 1,8 milliard d’euros, dans des projets totalisant 8,1 milliards pour le fonds spécialisé dans la réhabilitation des anciens sites industriels Ginkgo, pour l’entreprise pharmaceutique liégeoise Kiomed ou pour plusieurs parcs d’éoliennes offshore. Le tout dernier projet en date est une garantie donnée à un emprunt de 250 millions d’euros de la BEI (sur un financement total de 1,3 milliard) destiné aux projets Seastar et Mermaid, deux champs d’éoliennes totalisant 58 turbines en mer du Nord et qui devraient être opérationnels l’été prochain.

Le plan Juncker a eu également un autre effet : ” la BEI a ouvert un bureau opérationnel à Bruxelles en 2015. Cela nous a rapprochés des acteurs belges, publics ou privés, qui auparavant devaient se déplacer à Luxembourg “, observe Pierre-Emmanuel Noel, responsable de cette antenne bruxelloise (*). ” Psychologiquement, le changement a été très important “, souligne-t-il.

(*) Contact : noelpe@eib.org

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