“La BCE laisse les marchés mettre une certaine pression sur les Etats”

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La BCE ne rachètera pas la dette des Etats de la zone euro. Jean-Claude Trichet l’a écarté jeudi alors que certains voient dans la mesure le moyen d’éviter la propagation de la crise grecque. Nicolas Doisy, économiste à Cheuvreux, décrypte la stratégie de l’institution de Francfort.

La BCE ne rachètera pas la dette des Etats de la zone euro. Jean-Claude Trichet l’a écarté jeudi alors que certains voient dans la mesure le moyen d’éviter la propagation de la crise grecque. Nicolas Doisy, économiste à Cheuvreux, décrypte la stratégie de l’institution de Francfort.

Le président de la Banque centrale européenne Jean-Claude Trichet a déçu les investisseurs. Après l’annonce attendu du maintien du statu quo sur les taux, les opérateurs de marché espéraient un geste supplémentaire en faveur de la Grèce. Et en particulier le rachat d’emprunts d’Etat, considéré par les analystes comme l’arme la plus efficace qui reste à la disposition de la banque centrale. Mais le patron de la BCE a démenti la rumeur, se contentant d’assurer que “La Grèce, évidemment (…) ne fera pas défaut. Conséquence, l’euro a chuté sous 1,27 dollar pendant sa conférence de presse, son niveau le plus faible depuis 14 mois. Décryptage de cette mesure, supposée miracle, et de la stratégie de la BCE, avec Nicolas Doisy, économiste à Chevreux.

A quoi servirait le rachat par la BCE de la dette souveraine d’Etats de la zone euro ?

Acheter les obligations d’Etat sur le marché secondaire aurait permis de détendre les taux que doivent payer sur leurs emprunts les pays dont la situation budgétaire est mauvaise. Car si la BCE rachète de la dette, cela augmente la demande, ce qui fait baisser les taux. Malheureusement, cela aurait, en même temps, le goût d’un bail-out, ce qui serait susceptible de nourrir les turbulences actuelles

La Fed l’a fait aux Etats-Unis, pourquoi la BCE ne le ferait pas ?

Aux Etats-Unis, il y a une banque centrale pour un trésor. Dans la zone euro, il y en a une pour 16 trésors nationaux. Ce serait un casse-tête politique infernal : décider quel titre on rachète à quel pays, sans risquer de faire de favoritisme et de violer le principe européen sacro-saint de l’égalité de traitement… Les négociations seraient interminables.

Mais surtout, si la BCE rachetait par exemple de la dette grecque, alors l’Espagne attendrait son tour et ne serait plus autant incitée à mettre en oeuvre ses réformes structurelles. En somme, cela réduirait l’effet disciplinaire des marchés, qui sont en réalité les meilleurs alliés de la BCE et de l?Allemagne pour forcer les pays comme la Grèce à assainir leurs finances publiques et leur économie.

De manière générale, on peut dire que la stratégie de la BCE consiste à intervenir suffisamment pour éviter l’effondrement total de la zone, mais pas trop, de manière à laisser les marchés exercer une certaine pression sur les Etats. C’est un exercice délicat d’équilibriste.

La Banque centrale a-t-elle peur de compromettre son indépendance ?

Il y a aussi de ça. La BCE tient en horreur tout ce qui peut ressembler de près ou de loin à de la collaboration trop étroite avec les ministères des finances. Elle a peur de perdre le contrôle de sa politique. En outre, si l’on va jusqu’au bout de la logique et que la BCE rachète de la dette grecque quand les prix obligataires sont bas, elle risque, quand la conjoncture est plus favorable et que les prix des obligations remontent, de faire une perte au moment de les revendre. Elle se retrouverait avec un trou dans son bilan et serait obligée de quémander auprès des Etats pour être renflouée. Mais tout ça reste très hypothétique à l’heure qu’il est…

Pourtant la BCE s’est déjà montrée capable d’être flexible avec ses méthodes…

Bien sûr. En mai 2009, elle a engagé un programme d’achat de 60 milliards d’euros de “covered bonds”, des obligations sécurisées, aux banques. Lundi dernier, la BCE a annoncé qu’elle acceptait les titres de dette grecque comme garantie en contrepartie de ses prêts, quelle que soit la notation financière de ces titres. Les exemples sont nombreux.

En revanche, contrairement aux Etats-Unis, elle fait attention à ce que ces injections de liquidités n’entraînent pas une augmentation de la masse monétaire et donc un risque de hausse de l’inflation in fine. C’est pourquoi elle n’a pas procédé à des achats fermes de papier souverain mais seulement à des prises en pension.

Et puis surtout, quand elle mène ces politiques monétaires non conventionnelles, elle le fait discrètement, de manière limitée. Elle prend garde au vocabulaire qu’elle emploie : elle ne dit pas “quantitative easing” (assouplissement quantitatif) mais “enhanced credit support” (soutien renforcé au crédit)… Il n’est donc pas exclu qu’un jour, si cela s’avère nécessaire, elle finisse par acheter de la dette souveraine, mais elle l’annoncera sans tambour ni trompette et le fera, là encore, à échelle réduite.

Propos recueillis par Laura Raim
Trends.be, L’Expansion.com

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