“L’Italie a décidé de sortir des clous imposés par la Commission et de s’asseoir dessus. Mais s’asseoir sur des clous, ça peut faire mal”

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Maxime Defays Journaliste

La Commission européenne a depuis quelques mois l’Italie et sa trajectoire budgétaire “explosive” dans le collimateur. L’institution européenne vient d’ailleurs de proposer de placer l’Italie en déficit excessif à cause de sa dette. Tentons d’y voir plus clair avec Philippe Ledent, économiste chez ING Belgique.

Pourquoi la trajectoire du budget italien pose tant de problèmes du point de vue de la Commission européenne depuis des mois ?

C’est une conséquence directe de la crise de la dette dans la zone euro en 2010-2012 depuis laquelle la Commission européenne a un droit de regard plus important et plus précis sur les finances publiques des différents pays.

A l’époque, ce sont bien les pays de la zone euro qui ont validé cette idée. C’était donc un consensus. Ce n’est pas, tout d’un coup, la Commission européenne qui a décidé toute seule de regarder de plus près.

Ce “droit de regard” faisait partie intégrante de l’ensemble des mécanismes mis en place pour aider un pays qui serait éventuellement sanctionné par les marchés financiers. Le “prix à payer” étant, dès lors, une surveillance accrue. Celle-ci est un élément nécessaire dans un but de cohésion de la zone euro. Parce que l’alternative, c’est simplement de laisser chacun faire ce qu’il a envie de faire. Dans quel cas, on risquait de déboucher sur des transferts entre des économies dont les finances publiques sont saines et celles dont les finances publiques sont dégradées. Or, cette option a été totalement exclue par la majorité des pays.

Si on veut éviter une “Europe des transferts”, il faut notamment que les finances publiques des différents pays de la zone euro soient “dans les clous”, donnant de facto un droit de regard à la Commission européenne.

Depuis lors, chaque année, la Commission donne un bulletin et regarde l’évolution des finances publiques.

L’Italie, ayant une croissance très faible, conjuguée à une dette extrêmement importante (130% de son PIB), est donc dans le collimateur de la Commission, qui demande que les finances publiques italiennes soient “encore plus dans les clous”, de manière à ce qu’elle puisse corriger ce taux d’endettement excessif et que la situation ne se dégrade pas. Si les recettes ne sont pas suffisantes pour couvrir les dépenses de l’Etat, il faut emprunter, provoquant, évidemment, un gonflement de la dette.

Mais l’Italie a décidé de ne pas écouter la Commission. Le pays dit aujourd’hui ceci : “Moi, les clous, je m’assieds dessus.” Mais ça peut faire mal.

En plus de l’Italie, Chypre, la France et la Belgique ont également reçu un avertissement de la Commission. Notre pays a finalement échappé mardi à une sanction… Mais est passé par le chas de l’aiguille. Est-ce que ces mises en garde à répétition sont inquiétantes pour notre pays ?

On peut le voir de deux manières différentes. Ces mises en garde sont en tout cas nécessaires. C’est une bonne chose que ces finances publiques soient sous surveillance. Maintenant, la Belgique a un problème de taux d’endettement, certes relatif, par rapport à l’ensemble des pays européens (nous sommes sur le podium du taux d’endettement le plus élevé), ce qui veut dire que la Commission nous demande de faire un effort assez important en termes de réduction du déficit.

D’un autre côté, le déficit belge n’est vraiment pas dramatique, puisqu’il tourne entre 1 et 1,5% du PIB. La Belgique se fait “taper sur les doigts” parce qu’on ne fait pas suffisamment d’efforts au regard de la Commission. L’idée n’est pas de dire que la Belgique a une trajectoire qui déraille. C’est dès lors une situation bien différente de celle de l’Italie, où la trajectoire budgétaire est vraiment problématique. En plus, depuis la mise en place du gouvernement Ligue du Nord-Mouvement 5 Etoiles, les dirigeants italiens considèrent que les règles, mises en place par la Commission, sont trop strictes et ont déclaré à plusieurs reprises qu’ils ne comptaient délibérément pas les suivre.

En Belgique, il ne s’agit pas d’un écart budgétaire délibéré, bien évidemment. Ce qui fait que notre pays “passe” à chaque fois, c’est qu’il existe tout de même un peu de latitude dans le chef de la Commission européenne. Il ne s’agit pas, comme avec l’Italie, d’entrer dans une logique de confrontation. Quand on regarde la trajectoire de la Belgique, il n’y a rien d’explosif.

La méthode de calcul de la Commission est critiquée par des économistes de renom, même des partisans de l’orthodoxie budgétaire. On parle de méthode basée sur “l’output gap”. Est-ce que cette remise en question est, selon vous, justifiée ?

Non, parce qu’il faut de toute façon, un moment, se fixer une méthodologie très claire, qui a ses avantages et ses défauts, certes, mais que tout le monde doit respecter. De plus, il y a à côté de cela l’interprétation et la latitude qui sont données à chaque pays par la Commission.

Qu’a-t-on comme alternative ? Soit nous nous disons que nous avons besoin d’une méthodologie plus claire ou différente qui sanctionne dès qu’un pays est en dehors des clous. Soit on arrête la méthodologie et on ne procède uniquement que par interprétation, et c’est alors simplement du jeu politique, qui ne serait forcément pas validé.

Aujourd’hui, on peut toujours discuter de la méthodologie. Mais c’est selon moi tellement en dehors des préoccupations des gens que cela a peu de sens. On peut ergoter entre économistes sur l’output gap, mais je ne pense sincèrement pas que cela va améliorer la situation.

Quel est le problème ? La Commission regarde les finances publiques telles qu’elles sont. Mais elle explique également qu’un gouvernement est “excusable” pour les dérapages liés au fait que la croissance économique ait été moins vigoureuse que prévu. Ils vont donc recalculer en tenant compte de ce fameux output gap, qui est la différence entre la croissance que l’on a et la croissance dite “normale”. Tout dépend évidemment de comment vous calculez cette croissance “normale”.

Dès lors, chaque acteur du monde économique pourra ne pas être d’accord avec cette méthodologie. Celle-ci est édictée pour tout le monde, et bien qu’elle soit critiquable sous certains aspects, ce genre de débat ne va de toute façon intéresser personne. Il est aussi difficile de savoir qui a raison et qui a tort.

L’Europe ne se calque-t-elle plus sur la règle des 3% de déficit à ne pas dépasser ?

Elle existe encore mais elle a en fait été affinée. Cette procédure a été complétée d’une analyse du déficit structurel. Dire désormais que certains dérapages budgétaires sont “excusables” est sur le fond une bonne chose. Cela veut dire que si aujourd’hui nous étions confrontés à un choc négatif sur l’ensemble des économies de la zone euro (comme une crise, par exemple), le budget de l’Etat va forcément se dégrader vu qu’on entrerait en récession. Dans ce contexte-là, la Commission va constater un accroissement de l’output gap (une croissance largement inférieure à la normale), et comprendra pourquoi ce budget se dégrade. Il ne sanctionnera dès lors pas. Avant, ce point-là n’était pas du tout pris en compte. On a donc complété cette règle des 3% pour définir si oui ou non les finances publiques de tel ou tel pays suivait une trajectoire explosive.

Concernant le cas italien, on parle d’une éventuelle amende de 0,2% de son PIB, soit 3,5 milliards d’euros. Existe-t-il d’autres types de sanctions que pourrait se voir infliger le pays ?

À ma connaissance, il n’y a que ce type de sanctions-là. Si un pays décidait de ne pas payer cette amende, certains fonds structurels européens (comme le Fonds social européen ou le fonds européen de développement régional) peuvent ne pas être versés. Selon moi, ces procédures sont assez contre-productives car elles ne vont faire qu’augmenter le ressentiment à l’égard de l’Europe. En attendant, c’est difficile de trouver une autre solution comme sanction.

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