L’industrie automobile touchée au coeur par le blocage d’un pont au Canada
En bloquant un pont entre le Canada et les États-Unis, les manifestants anti-mesures sanitaires ont touché un nerf central pour l’industrie automobile et forcé les géants du secteur à suspendre ou ralentir temporairement les chaînes de fabrication dans plusieurs usines.
General Motors, Ford, Stellantis et Toyota ont soit dû dire à des travailleurs de ne pas venir à l’usine mercredi ou jeudi, soit dû réduire leur production, faute d’avoir certaines pièces détachées, bloquées d’un côté ou de l’autre de la frontière. Le pont Ambassador qui relie Windsor, côté Canada, à Détroit, côté américain, est en effet le pont transfrontalier accueillant le plus de trafic en Amérique du Nord, avec plus de 40.000 travailleurs et touristes l’empruntant chaque jour.
Des camionneurs y font traverser quotidiennement 323 millions de dollars de marchandises en moyenne. Et la zone autour du pont “est une sorte de cluster géant pour l’industrie automobile”, explique Jason Miller, expert en chaîne d’approvisionnement à l’université d’État du Michigan. “Certaines pièces peuvent traverser jusqu’à cinq, six ou sept fois le pont.”
Détroit est le berceau de l’industrie automobile américaine et de nombreux sous-traitants se sont installés dans les environs. Or “depuis les années 1960, l’industrie automobile prend pour acquis que le trafic transfrontalier sera facile et fiable, et elle fonctionne en flux tendus avec des usines qui n’ont parfois des stocks que pour quelques heures ou quelques jours”, signale Fraser Johnson, spécialiste des chaînes d’approvisionnement à l’école de commerce canadienne Ivey. “Dès qu’on a des perturbations de ce genre, cela met en péril la continuité des opérations”, ajoute-t-il.
Contournement compliqué
General Motors a dû annuler la vacation du soir mercredi à son usine de Lansing Delta Township, non loin de Détroit, et de nouveau la première vacation jeudi. Ford a dû réduire jeudi la capacité de ses usines canadiennes d’Oakville et Windsor. Toutes les usines de Stellantis en Amérique du Nord étaient ouvertes jeudi matin, mais plusieurs sites aux États-Unis et au Canada ont dû suspendre la deuxième vacation mercredi soir.
Toyota a pour sa part indiqué que le blocage du pont affectait ses usines au Canada et son usine dans le Kentucky, aux États-Unis, sans préciser depuis quand ni dans quelle ampleur. Mais l’entreprise s’attend d’ores et déjà à “des perturbations jusqu’au week-end” et continue à ajuster ses plans de production en conséquence.
En faisant de ce pont un point central de leurs protestations, les chauffeurs-routiers canadiens “visent haut pour relayer leurs revendications en frappant au coeur de l’industrie automobile”, résume Karl Brauer, du site spécialisée Iseecars. Il serait compliqué d’emprunter un autre chemin. Le pont est conçu pour relier directement des autoroutes majeures des deux côtés de la frontière.
Passer par Buffalo, près des chutes du Niagara, un peu plus à l’est, “est problématique car ils n’y ont pas les infrastructures pour gérer le trafic des camions”, souligne Fraser Johnson. En plus de prendre plus de temps. Il n’est pas non plus envisageable de s’approvisionner facilement auprès d’autres sous-traitants, nombre d’entre eux fabriquant des pièces très spécifiques, voire configurées pour un véhicule particulier. Et “il ne faut pas oublier que cette crise arrive dans un contexte déjà pas facile, avec la pénurie de semi-conducteurs qui ne semble pas s’arranger”, relève Karl Brauer.
Le secteur automobile est en effet secoué depuis plus d’un an par le manque de ces éléments devenus indispensables dans la fabrication des voitures, obligeant périodiquement certains constructeurs à suspendre temporairement les chaînes d’assemblage. La situation pourrait rapidement s’aggraver si le pont reste bloqué, avec éventuellement le licenciement temporaire de salariés chez les constructeurs comme les sous-traitants automobiles et ses répercussions sur les restaurants ou les cafés qui les accueillent.
Les prix des voitures d’occasion, qui ont grimpé à des records l’an dernier aux États-Unis, pourraient continuer à monter, avance Jason Miller. Et “l’impact pourrait s’étendre à d’autres secteurs si les matières premières viennent à manquer”, ajoute-t-il en faisant remarquer que les États-Unis importent par exemple beaucoup d’aluminium, tandis que le Canada importe beaucoup de plastique.
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