L’immigration, un flux qui ne tarit pas

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Réfugiés ou migrants économiques : ils sont 250 millions dans le monde. En 2018, deux nouveaux accords internationaux seront signés pour tenter de mieux gérer les flux migratoires.

En 2016, face à l’afflux constant de réfugiés en Europe et à l’inquiétude croissante que suscitait dans l’opinion la forte proportion de migrants économiques, les Etats avaient décidé de prendre des mesures. Lors d’un sommet à New York, 193 pays se sont engagés en faveur de ” migrations sûres, régulières et ordonnées “. Une ambition louable. Et un moyen fort commode, remarquèrent certains, de reléguer une question épineuse aux calendes grecques.

Les réfugiés fuyant les persécutions sont protégés, théoriquement, au titre d’une convention internationale signée en 1951. Mais il n’existe aucun accord mondial pour encadrer des flots bien plus importants de migrants économiques. Si les esprits chagrins ont raillé les voeux pieux de la déclaration de New York, les dirigeants de la planète ont pourtant bien pris un engagement concret : un nouveau sommet se tiendra en septembre 2018, lors duquel ils signeront deux accords mondiaux – des ” pactes ” comme on dit dans le jargon diplomatique – établissant des règles de gestion des flux de réfugiés et de migrants, respectivement.

Ces mouvements de population sont colossaux et constants. Dans le monde entier, plus de 65 millions de personnes, soit l’équivalent de la population britannique, sont déplacées de force. Parmi elles, 22,5 millions peuvent prétendre au statut spécifique de réfugiés, contre 16 millions en 2007. La Turquie, le Pakistan, le Liban et l’Iran accueillent chacun plus d’un million de ces réfugiés. Or la réaction de la communauté internationale dépend principalement de ce qui se passe dans les pays riches, et en particulier du nombre de demandeurs d’asile. En 2012, on dénombrait dans le monde 943.000 personnes ayant déposé une demande d’asile – un chiffre qui a atteint un pic de 3,2 millions en 2015, avant de revenir à 2,8 millions en 2016.

En règle générale, le déplacement forcé fait l’objet d’un recensement. Le volume des migrations internationales est en revanche plus difficile à évaluer, car elles se font hors cadre officiel. Selon les Nations unies, 250 millions de personnes sont des migrants ; c’est l’équivalent de la population de l’Indonésie, le quatrième pays le plus peuplé de la planète. Leur afflux dans les pays riches a augmenté ces deux dernières années pour dépasser le pic précédent, survenu il y a 10 ans. Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), 5 millions de personnes ont migré de façon permanente vers des pays riches en 2016, un chiffre en progression annuelle moyenne de 7 % ces dernières années.

Convention de 1951

Mais quels progrès attendre des traités annoncés ? Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), chargé de proposer un pacte mondial sur les réfugiés, aura pour priorité la défense de la convention de 1951, qui contraint les Etats à accueillir les demandeurs d’asile faisant l’objet de craintes de persécutions avérées. Le HCR n’aura pas la tâche facile. Les Etats-Unis de Donald Trump seront ouvertement hostiles, en particulier à l’égard des migrants originaires de pays musulmans. Ils s’apprêtent par ailleurs à réduire de façon drastique le nombre d’admissions de réfugiés dans le cadre du plus grand programme au monde de réinstallation de réfugiés (qui déposent leur demande via les Nations unies), pour passer de 110.000 à 45.000 par an.

Le simple fait d’amener régulièrement les Etats autour d’une même table pour discuter des besoins des personnes déplacées, c’est déjà un progrès.

L’Australie, elle, détourne les demandeurs d’asile arrivant par la mer vers des camps situés dans des pays tiers plus pauvres, rémunérant de facto la Papouasie-Nouvelle-Guinée et d’autres, pour qu’ils remplissent à sa place son devoir d’accueil des réfugiés. Un modèle qui fait des émules dans les Etats européens. Malgré leurs grands discours de respect de la convention sur les réfugiés, eux aussi paient la Turquie, la Libye ou le Soudan pour détourner les flots de déplacés qui cherchent à traverser la Méditerranée. Pour compenser, on entendra cette année des acteurs politiques européens évoquer une augmentation des quotas de réfugiés dans le cadre du programme de réinstallation des Nations unies. Des belles paroles qui n’iront sans doute pas bien loin : de nombreux Etats membres de l’UE, en particulier en Europe de l’Est, refusent tout bonnement d’en accueillir.

Dans l’impasse, les pays pauvres, qui concentrent 84 % des réfugiés de la planète, décideront d’imiter les plus riches. Confrontée à l’arrivée de Rohingyas fuyant la Birmanie et les persécutions, l’Inde envisageait fin 2017 de les expulser – le Bangladesh se montre plus accueillant envers eux. En matière d’accueil des réfugiés, ” la question du partage des responsabilités s’est exacerbée, mais je ne crois pas que le pacte mondial résolve quoi que ce soit “, déplore Jeff Crisp, un ancien du HCR. Un premier test pourrait avoir lieu très prochainement : si les Vénézuéliens se mettent à fuir par dizaines de milliers le chaos politique et les violences engendrées par la crise économique, la communauté internationale sera forcée d’abattre ses cartes.

Faire sortir les réfugiés des camps

Le pacte sur les réfugiés aura au moins le mérite de présenter aux Etats des moyens de venir en aide à ceux qui fuient leur pays. Parmi les idées proposées, il y a celle de faire sortir les réfugiés des camps pour les installer au sein des communautés locales. Il sera de nouveau question, aussi, d’offrir davantage d’aide à ces populations d’accueil, et pas seulement aux réfugiés. Avec l’accent mis sur le développement économique et la création d’emplois, certaines agences internationales verront leur rôle accru, à l’image de la Banque mondiale. Ces idées ne sont pas nouvelles et sont déjà testées, par exemple, auprès des 5 millions de Syriens déplacés dans le Moyen-Orient. Mais le pacte onusien devrait leur donner une assise internationale.

Quant au second pacte sur les migrations, les perspectives sont plus maussades encore. Le processus de consultation est en cours, sous l’égide de la Suisse et du Mexique, avec l’Organisation internationale pour les migrations, un organisme des Nations unies. En 2017, des réunions d’experts ont balayé de nombreux sujets relatifs aux migrations, du trafic d’êtres humains aux transferts d’argent. Les négociations officielles se sont ouvertes en décembre 2017 à Guadalajara, au Mexique, et une cérémonie triomphale doit marquer la signature du texte final en septembre à New York.

Sauf que les intérêts divergent fortement d’un pays à l’autre. Les travailleurs migrants sont une aide pour les pays pauvres, qui bénéficient ainsi d’envois d’argent et de transferts de compétences. Dans les pays riches en revanche, même si certains tirent un certain profit des flux migratoires, l’électorat est souvent hostile à l’arrivée de travailleurs étrangers. Pour Jorgen Carling, spécialiste des migrations au Peace Research Institute d’Oslo, ceux qui comptent sur le pacte pour établir davantage de routes migratoires officielles et légales risquent d’être déçus.

Pays riches et pays pauvres vont donc devoir s’entendre sur d’infimes dénominateurs communs – condamnation des réseaux de passeurs ou définition des droits fondamentaux du migrant. Le pacte pourrait dessiner un cadre mondial de bonnes pratiques en matière de politique migratoire… tout en laissant chaque Etat libre de décider de celles qu’il appliquera, s’il en applique. Ainsi, l’Union européenne et l’Afrique de l’Ouest seront toutes deux d’accord pour maintenir en leur sein la liberté de circulation des travailleurs. Mais le pacte ne dira pas grand-chose des flux migratoires entre ces deux régions.

Pour les plus pessimistes, pas de doute : aucun Etat n’étant disposé à renoncer de façon significative à la maîtrise de ses frontières, ces pactes ne seront pas d’une grande utilité. Mais comme le rappelle Jorgen Carling, le simple fait d’amener régulièrement les Etats autour d’une même table pour discuter à un haut niveau des besoins des personnes déplacées, c’est déjà un progrès.

Par Adam Roberts.

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