L’immigration peut doper l’économie belge
L’OCDE dresse un bilan économique positif de l’immigration. A condition de mener de vraies politiques d’intégration et d’accès à l’emploi. Et là, la Belgique est à la traîne.
Depuis le début de l’année, la Belgique a enregistré plus de 16.000 demandes d’asile. Les chiffres augmentent fortement sur le dernier trimestre : deux fois plus de demandes en juillet par rapport à 2014 et trois fois plus en août. A ce train-là, la barrière des 20.000 sera largement franchie en décembre… ce qui n’est pas exceptionnel. En 2011, on était à 25.000 et en 2000, année record, à 42.000. Les migrations actuelles comportent toutefois une réelle différence avec les précédentes : le taux d’acceptation. Il y a cinq ans, moins d’un quart des demandes aboutissait, alors qu’on frôle les 60 % sur les sept premiers mois de l’année. Les derniers chiffres sont poussés par les Syriens, qui obtiennent le statut de réfugiés dans plus de 90 % des cas.
Ces arrivées constituent-elles un péril pour l’économie nationale ? Une partie de la population craint que cela ne relance la progression du chômage (ils prendront le job des Belges), tout en poussant les salaires vers le bas. “C’est le syndrome du marché du travail à taille fixe, comme on l’entend aussi régulièrement dans le débat sur l’âge de la retraite, rétorque Etienne de Callataÿ, chargé de cours à l’université de Namur. Or, le marché du travail est dynamique.” En l’occurrence, les migrants consomment, dépensent l’essentiel de leurs revenus dans le pays, la demande de biens et de services augmente et cela fait tourner la machine économique. “La taille du marché national augmente, ajoute Frédéric Docquier, professeur d’économie à l’UCL, spécialisé dans les migrations et le développement. Cela permet d’avoir plus d’entreprises, plus de débouchés, une plus grande variété de produits. Il y a un effet positif de la diversité sur la productivité. Tout cela contribue au bien-être, même si chacun ne peut pas toujours le percevoir à son niveau individuel.”
Le secrétaire d’Etat à l’Asile et la Migration, Theo Francken (N-VA), s’inscrit dans cette optique. “L’immigration est positive et doit être un atout, a-t-il déclaré à la RTBF. Nous sommes au centre de l’Union européenne, un pays sans immigration est désastreux.”
Difficile intégration sur le marché du travail
En cette matière sensible, il faut redoubler de prudence avant de tirer des conclusions. Les universitaires se basent sur des données officielles et validées pour tirer un bilan économique globalement positif de l’immigration. Mais le lien entre immigration et croissance n’est pas mathématique pour autant. Les données agrégées peuvent ainsi masquer des concentrations géographiques, qui peuvent conduire à des poches de pauvreté dans certaines villes ou quartiers. L’intervention publique peut éviter cet effet pervers. Comme elle peut, surtout, veiller à ce que l’intégration des migrants se déroule de façon harmonieuse. Sans cela, les chances d’un apport positif de l’immigration diminuent. “Sur cette question, l’économie doit s’éclipser face à l’évidence humanitaire, insiste Etienne de Callataÿ. Accueillir ces personnes qui fuient des conflits atroces, c’est notre devoir moral. Il faut agir, comme on vole au secours d’un naufragé en mer, sans se préoccuper de savoir si c’est bon ou non pour notre portefeuille.”
L’impact économique de l’immigration dépend évidemment beaucoup de l’accès à l’emploi. Mieux les migrants s’insèrent sur le marché du travail, plus ils généreront de recettes fiscales et d’activité économique. Globalement, l’apport de recettes est légèrement supérieur aux dépenses engagées pour l’accueil et l’intégration des migrants, selon une étude publiée par l’OCDE en 2013. La Belgique figure malheureusement parmi les mauvais élèves en ce domaine (voir également le graphique ci-dessous “La Belgique à la traîne pour l’emploi de travailleurs étrangers”), avec un taux d’emploi inférieur de 10 points de pourcentage pour les étrangers par rapport aux nationaux. L’OCDE estime qu’en remontant le taux d’emploi des immigrés au niveau de celui des personnes nées dans le pays, la Belgique enregistrerait un gain budgétaire de près de 1 % de son PIB. C’est le record de l’OCDE devant la France (0,6 %) et la Suède (0,5 %)… Le manque de qualifications serait-il responsable de cette situation ? Apparemment non. Au contraire, l’OCDE affirme que “le taux d’emploi et les salaires des immigrés augmentent généralement moins avec le niveau d’instruction que ceux des autochtones”. En d’autres termes, plus on monte dans les qualifications, plus la main-d’oeuvre étrangère est défavorisée par rapports aux natifs. Cela laisse clairement supposer l’existence de discriminations à l’embauche, même si l’OCDE se garde bien d’utiliser un terme aussi fort. Le manque de flexibilité du marché du travail pourrait aussi expliquer cette situation.
Rendre le parcours d’intégration obligatoire
Du strict point de vue des finances publiques, il est donc crucial de réussir l’insertion des personnes étrangères sur le marché du travail. Etienne de Callataÿ plaide pour “une politique d’accueil forte et intelligente” et regrette la frilosité des francophones à l’égard du parcours d’intégration existant en Flandre. “Est-ce un scandale de lier certains droits sociaux à l’obligation d’apprendre la langue de la Région ?, interroge-t-il. Parler la langue est quand même le meilleur moyen de suivre la scolarité de ses enfants, de discuter avec ses voisins ou de chercher un emploi.” Il existe bien un parcours d’accueil en Wallonie et à Bruxelles, mais il n’est envisagé que sur base volontaire. Le cdH aimerait passer à une phase plus contraignante (avec des cours de français mais aussi de citoyenneté) et, jusqu’à présent, il se heurte aux réticences de principe du PS.
L’économiste regrette d’autant plus cette frilosité que, dit-il, les migrants apportent “un important potentiel de dynamisme”. “Le gars qui a traversé les océans sur une embarcation de fortune pour venir chez nous, il possède un bagage digne d’un MBA, déclare-t-il. Si lui n’est pas entreprenant, dites-moi qui l’est ? Ces gens n’arrivent pas chez nous pour être des assistés. C’est pourquoi il faut investir dans l’accueil et l’intégration. Regardez Microsoft : la moitié de leurs cadres ont des parents nés en dehors des Etats-Unis.”
Aborder le sujet de front paraît inéluctable. Depuis les années 1960, la proportion d’immigrés dans les pays occidentaux a bondi de 4,5 à 10,5 %. Et la tendance risque de s’accentuer. “La croissance démographique mondiale viendra de l’Afrique, explique Frédéric Docquier. Si elle ne converge pas économiquement et que les conflits persistent, les flux migratoires ne vont pas ralentir, au contraire.”
Fuite des cerveaux
Les personnes qui arrivent chez nous dans les mouvements de fuite ou d’exode comme nous le voyons aujourd’hui ne sont pas spécialement dénuées de moyens et de qualifications. “La migration est un processus très sélectif”, affirme ainsi Frédéric Docquier. Il faut soit avoir des facilités d’obtention de visa, soit les moyens de payer les filières qui vous achemineront aux portes de l’Europe. Avoir un diplôme augmente de 20 à 50 % les chances d’émigrer. Conséquence : une perte de cerveaux pour les pays d’origine, ce qui pénalise le potentiel de développement de ces pays. “Le secteur médical des pays africains s’est ainsi considérablement détérioré”, dit Frédéric Docquier.
Ces départs ont toutefois aussi des effets positifs. Le premier est bien entendu l’envoi d’argent vers la famille restée au pays. En général, ces transferts représentent 5 % du PIB et dans certains pays (Jordanie, îles des Caraïbes), cela grimpe jusque 20 %. Ensuite, les possibilités d’émigration constituent un magnifique incitant à l’éducation, y compris pour ceux qui resteront toujours au pays. Et, enfin, une partie des migrants reviennent au pays avec de l’expérience et des moyens financiers. Mais cela ne suffit pas à rendre l’opération positive pour les pays d’origine : globalement, la balance serait négative pour 80 % des pays d’origine en ce qui concerne la fuite des cerveaux.
“On ne fuit pas son pays de gaiété de coeur”
Le deputy CEO du Ducroire, Nabil Jijakli, a fui la Syrie avec ses parents en 1970, peu après le coup d’Etat d’Assad. “Mon père a dû tout quitter et recommencer à zéro après 10 ans de carrière, raconte-t-il. C’est une aventure qu’on ne tente jamais de gaieté de coeur. Même si toute la famille a été heureuse en Belgique, lui, son pays lui a toujours manqué. Le pouvoir syrien devenait de plus en plus totalitaire, il a voulu protéger les siens.”
La situation de la famille Jijakli diffère toutefois de celle de la plupart des migrants. Le papa était déjà venu en Belgique, pour y faire des études d’ingénieur en aéronautique à l’université de Liège. C’est là qu’il a rencontré sa future épouse. Diplômes en poche, ils ont choisi de vivre à Damas. Quand les choses se sont gâtées, ils sont logiquement revenus près de leur famille belge.
“Aujourd’hui, les gens fuient la Syrie parce qu’ils sont acculés, qu’ils ne voient pas d’issue entre une dictature en place depuis 40 ans et des groupes islamistes, poursuit Nabil Jijakli. La Syrie est un pays qui avait réussi à développer une économie pluri-sectorielle (commerce, matières premières, agriculture, une relative industrialisation aussi) et un système éducatif très correct. Mais aujourd’hui, les gens vivent dans des conditions atroces et n’ont plus aucune perspective. Alors, ils bradent leurs biens et tentent l’aventure. Il faut comprendre les sacrifices qu’ils font dans l’espoir d’une vie meilleure en Europe.”
“Non, les demandeurs d’asile ne reçoivent pas d’argent”
“Il y a beaucoup d’informations erronées qui circulent à propos des demandeurs d’asile, regrette Théo Francken, le secrétaire d’Etat à l’Asile et la Migration. Par exemple, le fait qu’ils recevraient le revenu d’insertion. C’est faux, ils sont logés et nourris mais ne reçoivent pas d’argent (ou plutôt très peu, 7 euros par semaine, Ndlr). Certains affirment que les migrants réunis à Calais sont tous des migrants économiques et non des demandeurs d’asile. Ce n’est pas correct. Beaucoup arrivent vraiment de territoires en guerre, tout au plus 30 à 40 % d’entre eux peuvent être qualifiés de réfugiés économiques. Pourquoi veulent-ils aller en Angleterre ? D’abord, parce que là-bas aucun papier n’est obligatoire. Et ensuite parce que sur un marché du travail aussi flexible qu’en Grand-Bretagne, les immigrés ont plus de chances de trouver un boulot. Chez nous aussi, ils finissent aussi par arriver sur le marché du travail. Etonnant : les études montrent que les moins qualifiés trouvent plus facilement un job, car ils acceptent tout. Ce n’est pas le cas des personnes plus éduquées.”
A.M.
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