L’explosion du prix du gaz risque de porter un coup fatal à l’économie belge

Un tronçon du gazoduc Power of Siberia de Gazprom, à la station d'Atamanskaya. © REUTERS/Maxim Shemetov
Daan Killemaes Economiste en chef de Trends Magazine (NL)

La forte augmentation du prix du gaz naturel condamne l’économie belge à un grave appauvrissement. La facture pourrait se chiffrer en milliards d’euros si le gaz naturel reste très cher pendant longtemps.

La Belgique ne produit pratiquement pas de gaz naturel. Nous sommes donc totalement dépendants des importations pour notre approvisionnement. Ainsi, un prix plus élevé pour le gaz naturel signifie une facture d’importation plus élevée. Une hausse du prix du gaz naturel peut être considérée, comme une hausse du prix du pétrole, comme une taxe dont le produit est transféré à l’étranger.

L’ampleur de l’appauvrissement de l’économie belge dépend évidemment de l’importance de notre consommation de gaz naturel et de l’évolution des prix dans les prochains mois. Des calculs approximatifs montrent que la facture pourrait se chiffrer en milliards d’euros.

En 2020, la Belgique a consommé 190 tWh (térawattheures) de gaz naturel, selon les statistiques de la Febeg, la fédération du secteur énergétique belge. Un peu moins de la moitié va aux réseaux de distribution, et est donc principalement utilisée pour chauffer les habitations. Un quart est utilisé pour produire de l’électricité, et le quart restant est consommé par les grands clients industriels.

Le prix du gaz naturel a historiquement fluctué autour de 15 à 20 euros par mWh (mégawattheure). À 20 euros par mWh, les importations de gaz naturel coûtent 3,8 milliards d’euros par an à l’économie belge. Cette facture augmente maintenant très rapidement. Vendredi dernier, le prix du gaz naturel est passé à plus de 90 euros par mWh. Il s’agit donc d’une multiplication par quatre. La question est, bien sûr, de savoir combien de temps ces prix resteront aussi élevés. Si le pic est temporaire, la facture n’est pas trop lourde. Mais si le prix reste au-dessus de 80 euros par mWh pendant des mois, les calculs seront inconfortables.

Près d’un milliard d’euros par mois

Supposons que le prix du gaz naturel atteigne 80 euros par mWh pendant six mois, comme le suggèrent aujourd’hui les contrats à terme sur le marché du gaz naturel (même si ce signal de prix est assez peu fiable). Dans ce scénario, l’économie belge consommerait 7,6 milliards d’euros de gaz naturel au cours des six prochains mois, contre 1,9 milliard d’euros à prix normal. Cela représente une facture supplémentaire de 5,7 milliards d’euros pour l’économie belge. Chaque mois, avec ces prix élevés du gaz naturel, cela coûtera à la Belgique près d’un milliard d’euros.

En outre, les mois d’hiver approchent, ce qui signifie que la consommation pourrait être encore plus élevée. Si la hausse des prix persiste pendant un an, la facture des importations de gaz naturel augmentera de plus de 11 milliards d’euros. Entre-temps, la hausse du prix du gaz naturel entraîne également une augmentation des factures d’électricité, ce qui constitue une charge supplémentaire pour l’économie belge. Et une grande partie des bénéfices que les producteurs d’électricité réalisent aujourd’hui dans leurs centrales non alimentées au gaz passe à l’étranger.

Il reste donc à voir combien de temps les prix du gaz naturel resteront à leurs niveaux stratosphériques actuels. La plupart des analystes estiment que les prix élevés ne dureront que six mois au maximum. “Les prix à terme indiquent une baisse à partir d’avril”, déclare Peter Vanden Houte, chef économiste d’ING Belgique. “Cela me semble réaliste. La Russie est susceptible d’exporter un peu plus de toute façon, lorsque Nordstream 2 entrera en service, et les Américains prévoient maintenant aussi de produire et d’exporter plus de gaz.”

D’autres analystes notent que l’augmentation du prix du gaz est un gros coup de pouce pour Gazprom, qui connaît de graves difficultés. La Russie bénéficie donc du maintien d’une certaine tension sur le marché du gaz naturel. L’offre provenant d’autres régions du monde est également sous pression. “Il y a de moins en moins d’investissements dans les énergies fossiles. Le passage du charbon au gaz naturel soutient également la demande de gaz naturel. Le marché restera probablement structurellement plus tendu que dans les années qui ont précédé la pandémie”, déclare Peter Vanden Houte.

L’impact de la hausse des prix peut être atténué si les fournisseurs belges de gaz naturel s’approvisionnent en contrats fixes. Cela offre une protection temporaire contre la hausse des prix. Plus le prix reste élevé, plus il est difficile d’y échapper.

Toutefois, nos chiffres d’importation et d’exportation confirment que la hausse des prix du gaz naturel se traduit rapidement par une augmentation de la facture d’importation. En 2020, la Belgique a importé pour 2,2 milliards d’euros nets de “gaz naturel et autres hydrocarbures gazeux”, comme le disent les statistiques du commerce extérieur. En 2018, année également marquée par des prix du gaz naturel relativement plus élevés, de 20 à 30 euros par mWh, les importations nettes ont atteint 5,2 milliards d’euros. À un prix de 80 euros par mWh pendant un an, les importations nettes dépasseront les 10 milliards d’euros par an.

La hausse des prix du gaz naturel se traduit déjà par une augmentation de l’inflation. En septembre, l’inflation a atteint 2,86 %, en raison de la hausse des prix de l’énergie. En septembre, le gaz naturel était déjà 48,9 % plus cher sur une base annuelle. Le prix de l’électricité, qui est étroitement lié au prix du gaz naturel, a également augmenté de 17,3 %. C’est une inflation que vous ne voulez pas, car c’est une inflation des coûts qui équivaut à un appauvrissement.

Qui va payer pour cela ?

La question politique est maintenant de savoir comment cette facture plus élevée sera distribuée. Les ménages remarqueront bien sûr la hausse des prix du gaz sur leurs factures ou leurs relevés finaux, mais comme le gaz et l’électricité sont inclus dans l’indice auquel les salaires sont liés, la facture est largement répercutée sur les entreprises. Cette augmentation des salaires, couplée à la hausse des prix de l’énergie pour les entreprises, affecte la compétitivité des entreprises, ce qui est préjudiciable à l’emploi. Ce que les ménages gagnent grâce à des salaires plus élevés, ils le perdent en raison d’un risque de chômage plus élevé. “En pratique, ce ne sera pas si mal”, estime Geert Langenus, économiste à la Banque nationale. “Le taux d’emplois vacants est très élevé et les entreprises n’ont pratiquement licencié personne pendant la crise du Covid. Je m’attends à ce que les entreprises gardent leur personnel et essaient de s’en sortir en réduisant leurs marges ou en augmentant légèrement leurs prix.”

Le gouvernement peut intervenir en soutenant les revenus, en réduisant la TVA sur l’énergie, ou en assumant une plus grande part des coûts énergétiques. Toutefois, cette intervention ne réduit pas la facture finale pour les prix plus élevés du gaz naturel, car elle doit de toute façon être payée aux fournisseurs étrangers. Le poids de la facture ne peut être redistribué ou reporté dans le futur que s’il est payé avec un déficit budgétaire plus élevé et donc de l’argent emprunté.

D’un point de vue économique, il existe un argument important en faveur de l’aide aux personnes à faibles revenus lorsque la facture d’énergie arrive par la poste. L’indice reflète le mode de consommation d’une famille moyenne, mais les familles les plus pauvres consacrent une plus grande part de leurs revenus à l’énergie. Cela vaut également pour les ménages les plus pauvres qui bénéficient d’un tarif social, a établi la CReG, dans une étude récente. Une adaptation de l’indice compense la hausse de la facture énergétique pour une famille moyenne, mais pas pour les familles les plus pauvres, qui chauffent souvent moins bien et n’ont pas ou peu de réserves financières. Pour les ménages les plus pauvres, une facture énergétique plus élevée se traduit directement par une baisse de la consommation, ce qui entrave aussi la reprise économique.

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