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L’expert et le politique

Un gouvernement d’experts, la suggestion est régulièrement revenue depuis le scrutin du 26 mai dernier. Sans jamais avancer d’un pouce. L’épidémie de coronavirus et l’installation du gouvernement Wilmès nous donnent l’occasion de bien distinguer l’expertise et la responsabilité politique.

Les mesures prises ces derniers jours n’ont pas été conçues dans des cabinets ministériels mais dans les bureaux, voire les laboratoires, d’experts en épidémiologie. Le gouvernement d’experts, il est là et nous espérons tous qu’il sera efficace. Sophie Wilmès, Maggie De Block, Elio Di Rupo et leurs collègues conservent toutefois un rôle crucial : déterminer quels experts écouter (nous en voyons passer des milliers sur les réseaux sociaux…), orchestrer la mise en oeuvre pratique des dispositions et, enfin, les assumer devant l’opinion publique.

Cela nécessite-t-il un gouvernement de plein exercice ? Techniquement, sans doute pas. Les affaires courantes existent pour gérer ce qui advient, quelle qu’en soit l’ampleur ou la gravité. Mais symboliquement, il fallait sortir des affaires courantes. Ou plus précisément, il fallait voter la confiance. Tout est dans ce terme : le Parlement marque sa confiance envers la stratégie de lutte contre l’épidémie et, en retour, il demande à la population de faire aussi confiance à l’efficacité de ces mesures prônées par les experts. Peu importe finalement si ce gouvernement n’est que temporaire et son programme ramassé. Il a la confiance du Parlement, et à travers lui du pays, pour accomplir son seul défi : combattre le coronavirus en limitant autant que faire se peut les impacts socio-économiques de cette lutte.

La lutte contre le coronavirus nécessite-t-elle un gouvernement de plein exercice ? Techniquement, sans doute pas. Mais symboliquement, il fallait sortir des affaires courantes.”

Dans un tel moment, il eût été inconvenant de mobiliser les énergies des journées entières pour s’accorder de gauche à droite sur une politique d’immigration, une réduction du déficit public ou une réforme de l’Etat. Et de perdre du temps et de l’expertise (on y revient…), en changeant les portefeuilles ministériels, y compris celui d’une Première ministre qui, jusqu’ici, a parfaitement joué son rôle d’impulsion et de coordination dans notre Belgique fédérale bien compliquée. C’était pourtant l’option de Bart De Wever et, un temps, le président du PS Paul Magnette a semblé prêt à la suivre, avant de rétropédaler brusquement. Une stratégie machiavélique pour enfin réussir à embarquer le CD&V dans une aventure sans la N-VA, disent ses partisans ; le signe de la faiblesse et de l’indécision d’un président de parti, disent les autres, nettement plus nombreux, en particulier au nord du pays.

Ce rétropédalage aurait pu faire éclater toute la discussion en cours. Il irritait au plus au point les socialistes flamands, qui jouent volontiers les intermédiaires entre le PS et la N-VA et ont eu le sentiment d’avoir été ici roulés dans la farine. L’épisode laissera sans doute des cicatrices dans la famille socialiste. En attendant, il a fallu toute l’expérience et la fermeté du président de la Chambre Patrick Dewael pour ramener au moins neuf partis à la raison. On ne soulignera jamais assez l’importance de ce vieux copain de Guy Verhofstadt, viscéralement anti-raciste, pour ramener un semblant d’équilibre quand la politique belge semble déraper trop dangereusement. Ces derniers mois, il avait notamment soutenu avec fougue le Pacte de Marrakech, quand la N-VA quittait le bateau fédéral ; et manoeuvré avec brio au lendemain des dernières élections pour éviter qu’un élu du Vlaams Belang ne se retrouve à ses côtés au perchoir de la Chambre. A l’époque, impressionné par le geste, Paul Magnette avait même évoqué l’hypothèse d’une “coalition Dewael”. Neuf mois et une épidémie plus tard, c’est bien une telle coalition qui devait voter, ce jeudi, la confiance au gouvernement de Sophie Wilmès.

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