“L’Union européenne existe à travers trois forces fondamentales: l’aspiration à la paix après deux guerres mondiales, l’esprit d’internationalisation après la chute du communisme et le principe de l’unité transatlantique. Cet ADN historique est en pleine mutation.” C’est ce qu’affirme Marc De Vos, doyen de la faculté de droit à la Macquarie University de Sydney et professeur invité auprès de la cellule de réflexion Itinera.
Une énième impasse pour les négociations sur le Brexit. L’Italie vers une confrontation inédite avec Bruxelles sur le budget. La Pologne condamnée par la Cour de justice pour violation de l’État de droit. Voilà l’actualité de l’Union européenne. Aujourd’hui, notre Union, censée réunir les pays européens, doit surtout gérer des conflits et des divisions. L’heure est grave si un sommet eurasiatique doit servir de stimulant. L’Union, qui doit représenter l’Europe, préfère se réfugier auprès de la Chine autoritaire plutôt que de resserrer les règles du commerce mondial équitable avec les États-Unis.
L’Union européenne existe à travers trois forces fondamentales: l’aspiration à la paix après deux guerres mondiales, l’esprit d’internationalisation après la chute du communisme et le principe de l’unité transatlantique. Cet ADN historique est en pleine mutation. La Seconde Guerre mondiale est trop enfouie dans les souvenirs pour mobiliser les troupes. Les frontières et le nationalisme font leur grand retour. Les États-Unis dérapent. L’Europe s’égare et est en route vers nulle part.
Étant donné que ce sont les gouvernements nationaux qui déterminent son ordre du jour et ses décisions, l’Union européenne est le produit direct des politiques nationales. En l’absence d’un ADN contraignant, l’Europe devient spontanément le théâtre d’enchères nationales. Cette tendance à la division interne s’accentue de plus en plus et risque de mettre en danger l’existence même de l’Union.
L’Europe s’égare et est en route vers nulle part
Si l’on devait assister à un retournement de tendance, celui-ci serait bien sûr amorcé par les grands pays. Parlons-en d’ailleurs. Le Royaume-Uni tire sa révérence et est au bord de l’implosion politique. L’Allemagne titube. Sa chancelière zombie reste au pouvoir malgré son arrêt de mort politique. En France, le président Macron se bat pour son mandat et son avenir. L’Italie dérange l’Union, tout comme la Pologne. L’Espagne est faible économiquement et divisée par des querelles intestines. Il n’existe tout simplement pas de poids spécifique pour faire pencher la balance.
Autrefois, la Commission européenne avait plus de pouvoir politique. Il suffit de se remémorer la fameuse ère de Jacques Delors, qui a marqué la fin des années 80. Mais les États membres eux-mêmes ont dégradé la Commission européenne pour en faire une machine bureaucratique qui doit réaliser les lignes politiques du Conseil européen (les gouvernements nationaux unis). Il n’y a plus de place pour une dimension européenne quand le niveau national capitule.
Le marché intérieur européen assurait auparavant le dynamisme économique et la création des richesses
Le marché intérieur européen assurait auparavant le dynamisme économique et la création des richesses. Cela a fait de l’Europe une source tangible de progrès garante d’améliorations pour tous. Son histoire est aujourd’hui dominée par l’agitation autour de l’euro. La discipline budgétaire permanente a été imposée en tant que bande passante pour maintenir la viabilité de l’euro en l’absence d’une union monétaire à part entière. Dans la pratique, cela dépose un vernis de technocratie budgétaire sur les choix politiques, renforce les tensions entre les États membres et compromet la relance des États membres les plus faibles.
La plus-value économique de l’Union a été en grande partie sacrifiée sur l’autel d’un projet politique de monnaie unique dont la rentabilité ne peut être assurée que dans les deux cas de figure suivants: soit une intégration plus poussée, soit une zone euro restreinte composée de pays de premier plan. La première implique des transferts permanents du Nord vers le Sud, la seconde une séparation permanente entre le Nord et le Sud, sans parler de l’Europe de l’Est. Les pays les plus riches s’opposent à la première option, les plus pauvres à la seconde.
La machinerie européenne à Bruxelles et au-delà continue de produire. Les projets sont lancés et les ambitions annoncées, alors que la bureaucratie et la paperasse tournent. Mais quelle est la valeur ajoutée de tous ces organes, institutions, commissions et présidents? L’Union navigue à contre-courant de la politique contemporaine. Elle gère son propre déclin.
Cela ne lui enlève pas toute utilité, comme l’a appris Londres. Mais sans projet et sans cohésion, l’Union européenne, comme les Nations unies, s’apparentera plus à un fardeau qu’à une bénédiction, à un rêve qu’à une réalité, à un devoir qu’à un espoir. Jusqu’au jour où l’Italie sera la nouvelle Grèce et le bateau chavirera.
Traduction: virginie·dupont·sprl