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L’Europe des symboles ou bien celle des calculettes?

Ne boudons pas l’adjectif: l’accord intervenu après un sommet marathon de plus de quatre jours entre chefs d’Etat européens est historique.

Presque huit ans jour pour jour après le discours de Mario Draghi à Londres affirmant que la BCE ferait tout ce qu’il faut pour sauver l’euro, voilà donc les 27 qui ont posé les premières pierres d’un budget européen, s’accordant à la fois sur un transfert financier vers les pays pauvres, la levée d’emprunts communs et la création de ressources propres à l’Union. Nous n’aurions jamais cru cela possible il y a trois mois.

La Commission européenne va lever 750 milliards d’euros pour en prêter 360 milliards et en donner 390 autres, sans conditions très sévères, essentiellement aux pays les plus fragilisés par la crise. Ceux-ci bénéficieront d’un fonds de relance de 672,5 milliards. Cela commence par l’Italie, principal bénéficiaire. L’effort commun pour l’Italie, qui porte sur 127 milliards de prêts et 82 milliards de subventions, représente grosso modo 10% du PIB du pays. Pour aider l’Union à rembourser ces emprunts, un accord de principe est intervenu pour créer des ressources propres qui pourraient provenir d’une taxe Gafa sur les plateformes numériques ou d’une taxe carbone à prélever aux frontières pour protéger la compétitivité des industries européennes. Enfin, un autre point est également à saluer : pour la première fois dans son histoire, l’Union assortit le versement d’aides au respect de l’état de droit. Si une majorité qualifiée d’Etats membres estime qu’un pays ne respecte pas ces principes, les aides européennes pourront être suspendues.

La création de ce fonds de relance, aide indispensable à court terme, handicape le développement, tout aussi indispensable, de l’Union sur le long terme.

Certes, ces efforts communs sont censés être temporaires et exceptionnels. Mais l’acceptation de transferts et la levée d’emprunts communs constituent un saut quantique pour l’euro. Comme le souligne Stephen Roach, l’ancien chief economist de Morgan Stanley aujourd’hui enseignant à la Yale University, ” la structure de l’Union économique et monétaire repose enfin sur trois piliers : une monnaie unique, une banque centrale et un engagement crédible sur la voie d’une politique budgétaire unifiée “. Face à des Etats-Unis qui ont montré de grandes faiblesses lors de cette crise sanitaire, l’Union européenne s’en sort par le haut. On peut donc penser que le dollar va continuer de s’affaiblir face à la monnaie unique. Ce qui n’est pas nécessairement une bonne nouvelle pour les exportateurs européens, d’ailleurs.

Toutefois, s’il faut saluer cette percée historique, nous l’avons payée très cher. Peut-être trop. La facture, à la fois économique et politique, est très lourde : nous avons créé ce fonds de secours au détriment du budget 2021-2027 de la Commission (qui doit encore, c’est vai, être entériné par le Parlement européen).

Sur le plan économique, la création de ce fonds de relance s’est faite au prix d’une réduction sensible des ambitions budgétaires de la Commission et de coupes claires dans certains projets stratégiques primordiaux, comme l’innovation, la défense, la santé ou la transition énergétique. Le just transition mechanism qui devait aider les régions européennes les plus fragiles à supporter les impacts socio-économiques de la transition énergétique est réduit de 40 à 10 milliards… Le fonds de soutien de 26 milliards aux entreprises en difficultés… ne verra pas le jour.

Par ailleurs, un autre marchandage affaiblit l’Union : les pays frugaux verront augmenter des rabais supplémentaires à leur contribution au budget de l’Union. C’est le retour du fameux ” I want my money back ” de Margaret Thatcher en 1979. Le rabais dont bénéficient les Pays-Bas s’élève ainsi à 1,92 milliard d’euros par an pendant sept ans.

C’est tout le paradoxe : la création de ce fonds de relance, aide indispensable à court terme, handicape le développement, tout aussi indispensable, de l’Union sur le long terme. Il y a l’Europe des symboles et du long terme, et l’Europe des calculettes et du court terme. Et ce 21 juillet, on ne sait trop laquelle est véritablement sortie gagnante.

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