“L’Europe à deux vitesses est la seule bonne nouvelle du sommet”

© Reuters

La Grande-Bretagne refuse de participer à la réforme des traités européens, elle craint notamment un pouvoir plus fort de l’Europe sur son secteur financier. Pour Francesco Saraceno, économiste à l’OFCE, la décision d’écarter la Grande-Bretagne permettra enfin d’avancer vers l’unité européenne. Interview.

Pourquoi la Grande-Bretagne s’abstient de participer à la réforme des traités ?

Pour des raisons historiques et économiques. Il faut savoir que chaque avancée de l’Union Européenne en matière de transfert de souveraineté s’est toujours faite sans la participation de la Grande-Bretagne. Alors il n’est pas étonnant que la coopération plus étroite décidée aujourd’hui soit refusée par David Cameron. L’aspect économique est aussi très important. L’Europe veut instaurer une taxe sur les transactions financières. Si elle passe, elle aurait un impact beaucoup plus élevé sur la Grande-Bretagne qu’ailleurs en Europe, sa richesse reposant davantage sur son secteur financier.

Il y a un vrai risque pour la City ?

Non, cette taxe sur les transactions serait extrêmement faible et aurait des conséquences minimes sur l’économie anglaise. Je pense qu’il s’agit surtout d’un blocage idéologique. La croissance des vingt dernières années à été largement basée sur la finance à Londres et il ne faut pas y toucher. Mais cet impôt est nécessaire en Europe: à l’heure ou l’on taxe le travail, le capital, il est anormal que la seule chose que l’on ne taxe pas soit la finance.

Cette prise de distance avec l’Europe est-elle propre aux conservateurs anglais dans la lignée des Margaret Thatcher et John Major ?

Il n’y a pas de spécificité politique entre les Tories et le Labour car les années Blair et Brown n’ont pas non plus marqué de rapprochement avec l’Union Européenne. Certes, Gordon Brown a voulu faire un référendum d’adhésion à l’euro mais les conditions étaient tellement compliquées à mettre en oeuvre que cela revenait à ne rien faire. De ce point de vue, je pense qu’on aurait assisté au même blocage avec les travaillistes. Même si, il faut le reconnaître, le gouvernement en place a une inflexion largement plus eurosceptique et hostile à toute intégration européenne.

Ne risque-t-on pas se retrouver avec une Europe à deux vitesses ?

Oui et je pense que c’est la seule bonne nouvelle de ce sommet. Le fait d’ignorer ceux qui bloquent les avancées vers le fédéralisme est une bonne chose, même si au passage je ne cautionne pas le fait de faire avancer l’Europe vers une austérité toujours plus forte. On a trop progressé sur l’élargissement sans avoir de véritable intégration, tôt ou tard il fallait se résoudre à une Europe à deux vitesses. Et ce n’est d’ailleurs pas un danger en soi. Si la zone euro est élargie mais reste restreinte, le processus décisionnel sera plus efficace et plus rapide. Elle sera mieux gérée et redeviendra attractive. Par ailleurs, il n’y a pas de risque que la Grande-Bretagne décide de sortir de l’Union Européenne, elle en tire trop d’avantages. Mieux vaut une Europe plus petite mais qui va plus vite.

Mais ce n’est pas dangereux pour la crédibilité européenne ?

Pas forcément, les Européens ont réussi à exploiter le principe de coopération renforcée avec ce sommet. En clair, les Etats se mettent d’accord entre eux sans avoir besoin de modifier les traités. C’est donc moins risqué pour éviter les blocages et il vaut mieux quelque chose de partiel que de global et inefficace. De toute manière nous n’avions pas trop le choix…

Propos recueillis par Ali Bekhtaoui, L’Expansion.com

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content