Daan Killemaes

“L’épargnant belge va perdre 2,5 milliards en pouvoir d’achat cette année”

Daan Killemaes Economiste en chef de Trends Magazine (NL)

Ce n’est que le jour où la BCE regardera l’inflation dans le blanc des yeux qu’elle corrigera sa politique, estime le rédacteur en chef du Trends néerlandophone, Daan Killemaes.

L’économie européenne s’améliore et l’inflation progresse, mais les signes précurseurs d’une augmentation des taux d’intérêt sur les livrets d’épargne ne sont pas encore là. “Encore un peu de patience, s’il vous plaît”, tel est le message destiné aux épargnants et que la Banque Centrale Européenne distillera encore un certain temps sur le marché. Et ‘encore un peu’ signifie probablement ‘encore quelques années’. Il faudra peut-être attendre 2018 ou 2019 pour voir les taux sur les livrets d’épargne donner signe de vie, sous réserve bien sûr que la conjoncture garde la cap. Mais les temps meilleurs pour l’épargnant pourraient se voir reportés à la décennie suivante. Entre-temps, l’inflation dévore sans répit ni pitié le pouvoir d’achat des 260 milliards d’euros qui se trouvent parqués sur des comptes d’épargne en Belgique. Le rendement réel sur ces comptes atteint aisément -1%, ce qui signifie que les épargnants perdront cette année 2,5 milliards d’euros en pouvoir d’achat. Ou comme Koen De Jonckheere, le CEO de la société d’investissement Gimv, le formule: “L’argent sur votre livret d’épargne est une illusion. Du fait de l’inflation, il n’aura plus de pouvoir d’achat au bout de trente à quarante ans.”

C’est pour votre propre bien, se défend la BCE vis-à-vis de l’épargnant. Car des taux d’intérêt plus élevés sur l’épargne ne sont possibles que si l’économie continue à se renforcer, et c’est précisément ce que la BCE poursuit avec sa politique monétaire expansionniste. “Un taux d’intérêt plus bas est actuellement nécessaire pour permettre des taux d’intérêt plus élevés à terme”, selon la BCE. La patience de l’épargnant n’est bien sûr pas sans fin. En Allemagne, le président de la BCE Mario Draghi a de plus en plus de mal à vendre sa politique, maintenant que l’inflation y a grimpé jusqu’à 1,7%. Si celle-ci poursuit sa montée, ce qui est prévu, la protestation ne fera que grandir. Les Allemands n’ont pas envie de payer la crise de l’euro une fois de plus via des taux d’intérêt réels négatifs. Tous les épargnants en ont plus qu’assez de la répression financière. La fourmi ne peut pas indéfiniment subsidier la cigale.

L’épargnant belge va perdre 2,5 milliards en pouvoir d’achat cette année

La BCE ne peut pourtant pas encore satisfaire l’épargnant. Le risque de déflation a certes sensiblement diminué, car la BCE a autorisé un adoucissement du programme d’assouplissement monétaire d’un petit cran, mais il n’est absolument pas encore question d’une dynamique d’inflation autoalimentée, ce qui a inspiré la BCE pour la prolongation du programme légèrement réduit jusqu’à la fin de cette année. L’inflation sous-jacente, soit hors produits énergétiques, ne s’élève encore qu’à 0,9% dans la zone euro. Selon la BCE, l’inflation sous-jacente devrait atteindre 1,7% en 2019, ce qui est toujours en dessous de l’objectif de ‘près de’ 2%.

La banque centrale européenne indique que quatre conditions doivent être remplies avant qu’elle ne modifie sa politique. L’inflation doit être en bonne voie vers les 2%, cela ne doit pas être un phénomène temporaire, cela doit être constaté sur l’ensemble de la zone euro, et le soufflé ne doit pas retomber en cas de politique monétaire plus resserrée. Aujourd’hui, aucune de ces conditions n’est remplie. Donc patience. Ce n’est que le jour où la BCE regardera l’inflation dans le blanc des yeux qu’elle corrigera sa politique, avec le risque de se retrouver, plus tard dans l’année, coincée entre un épargnant révolté qui exige une politique monétaire plus resserrée et des marchés financiers qui exigent le maintien d’une politique souple.

L’impatient épargnant examine prudemment les alternatives pour faire fructifier son argent. Obligations ? Le taux à long terme a certes légèrement augmenté, mais le risque de poursuite de l’augmentation de taux, et donc de perte de valeur des obligations à long terme, est relativement élevé. Pour cette raison, les obligations ne sont pas un investissement pour le bon père de famille, pour l’instant. La bourse ? Les actions américaines sont relativement chères, mais les européennes pas encore. Le rendement des actions est plus élevé en Europe que le taux d’intérêt à long terme. Ceci implique des risques, que l’épargnant ne désire pas encourir, mais avec des actions, vous pouvez protéger ou élargir votre pouvoir d’achat. Ou alors simplement l’immobilier ? La ruée vers la brique prend de l’ampleur. Maisons et appartements sont chers et une augmentation de taux d’intérêt peut entraîner une correction, mais la rareté sur le marché créerait rapidement un plancher. Les banques centrales ne pourront jamais imprimer des terrains à bâtir.

J’invite les personnes qui ne jurent que par le livret d’épargne à tourner leur regard vers les États-Unis pour capter un aperçu de la fin de la partie. Là, le cycle est plus avancé de quelques années et vous trouvez des taux d’intérêt sur l’épargne avec un 1 devant la virgule, dans le sillage d’une politique monétaire lentement resserrée de la banque centrale américaine. Le débat aux États-Unis se déplace doucement vers la fameuse stratégie de sortie ou le démantèlement de la balance de la banque centrale, et des conséquences pour les marchés financiers. Continueront-ils à pédaler ou se casseront-ils la pipe si on leur retire les petites roues d’appui monétaires ? Là-bas, l’épargnant attend encore un peu et voit la lumière au bout du tunnel. Mais pour l’épargnant européen, cette lumière n’est que celle du train de l’inflation.

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