L’école au secours des métiers en pénurie

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A l’instar de la Fondation pour l’enseignement, des organisations opèrent depuis quelques années un rapprochement entre l’entreprise et l’enseignement obligatoire. L’objectif ? Mieux faire connaître le monde professionnel afin d’apporter à l’école les réalités du terrain et, pourquoi pas, susciter des vocations.

En Belgique, il faudrait chaque année 500 ingénieurs diplômés en plus pour répondre à la demande. Le problème ne date pas d’hier et cette pénurie se constate plus généralement dans les métiers dits ” STIM “, acronyme de science, technologie, ingénierie et mathématiques.

Ces secteurs ont bien besoin d’être revalorisés, en particulier auprès des plus jeunes à l’heure où ceux-ci choisissent leur orientation scolaire. Les métiers STIM pourraient s’offrir une belle carte de visite par le biais de l’école primaire et secondaire. Selon Agoria, la fédération de l’industrie technologique, 130.000 jeunes entre 15 et 24 ans en Belgique ne sont ni aux études, ni à l’emploi. Or, 30.000 emplois sont vacants dans le secteur technologique.

Des programmes existent pour établir des ponts entre l’enseignement et les entreprises. Certains de ces programmes s’adressent aux enseignants, d’autres aux élèves. A terme, ils pourraient réduire le nombre d’emplois vacants dans le secteur technologique.

La Fondation pour l’enseignement

Créée voici cinq ans par des acteurs de l’enseignement et du monde de l’entreprise, la Fondation pour l’enseignement a pour but d’apporter les pratiques de l’entreprise dans le milieu scolaire. ” Certaines entreprises ne parviennent pas à recruter des personnes bien formées et motivées dans des professions pourtant épanouissantes mais souvent mal connues ou dévalorisées, assure Olivier Remels, administrateur délégué de la Fondation. Ces professions sont d’ailleurs souvent proposées suite à des échecs successifs dans les filières générales. L’idée de la Fondation est de revaloriser les métiers qualifiants mais également d’apporter une certaine expertise du milieu de l’entreprise dans l’enseignement obligatoire. Citons notamment l’esprit d’entreprendre, la connaissance et la pratique du métier, l’adéquation des techniques enseignées avec les métiers de l’entreprise ou encore les applications numériques. ”

Ce constat est partagé par quasi l’ensemble des acteurs concernés : à l’heure où le milieu professionnel exige une certaine efficacité dès l’entrée sur le marché du travail, l’enseignement se doit plus que jamais d’apporter un côté pratique. Et pourquoi pas déjà en primaire ? La naissance de la Fondation pour l’enseignement, tout comme d’autres initiatives, s’explique entre autres par la mise en place du Pacte d’excellence, qui s’inscrit progressivement dans le paysage scolaire. Un des axes majeurs du Pacte est d’offrir une plus grande autonomie aux écoles, ce qui permet à certaines directions d’établissements d’intégrer une forme de pédagogie plus pratique.

Des enseignants chez Safran
Des enseignants chez Safran© G. BRUSSELMANS

Des profs sur le terrain

L’une des concrétisations de la Fondation pour l’enseignement, c’est le programme Entr’apprendre. Créé voici cinq ans, il propose à des enseignants de la filère technique ou générale de suivre un stage de quatre jours, dont deux en immersion dans une entreprise.

Pour les enseignants inscrits aux stages, l’objectif est de mieux cerner la réalité du terrain afin de la répercuter dans leurs cours et de mieux connaître les entreprises dans lesquelles leurs élèves peuvent eux-mêmes être envoyés en stage. Ce programme, pour lequel l’entreprise intervient de manière bénévole, offre également un retour positif pour l’employeur.

Par exemple, nous avons assisté à l’un de ces stages en région liégeoise chez Safran, constructeur de boosters, ces éléments essentiels dans les moteurs d’avions. ” Nous sommes régulièrement à la recherche de nouveaux opérateurs chez Safran ; ces profils techniques sont en pénurie “, explique Matthieu de Streel, responsable d’une ligne de production chez Safran et guide pour les deux journées en immersion des enseignants. ” En expliquant comment fonctionnent les machines, ce qu’on demande à nos travailleurs et nos objectifs, les professeurs peuvent répercuter cette expérience en classe, ce qui leur permettra peut-être de mieux cibler de bons profils et de les envoyer chez nous “, ajoute-t-il.

Difficile de quantifier l’avantage pour l’entreprise, même si l’expérience est positive et tangible. ” Le simple fait de faire connaissance facilite des contacts futurs, avance Aurélie Humblet, coordinatrice des ressources humaines chez Safran. Nous accueillons souvent des professeurs stagiaires. Ce contact est positif. ” La responsable RH pointe par ailleurs la simplicité du programme Entr’apprendre : ” Il faut prendre contact avec la Fondation pour l’enseignement et pouvoir débloquer du personnel durant deux jours “.

La visite chez Safran est l’une des nombreuses possibilités de stages proposés aux enseignants dans le cadre d’Entr’apprendre. Pour le cru 2018-2019, 90 offres de formations et de stages ont été ouvertes dans quelque 20 entreprises en Wallonie et à Bruxelles dans cinq secteurs d’activités : industrie, construction, économie, sciences appliquées et alimentation. Citons notamment, parmi les entreprises qui accueillent régulièrement des stagiaires : AGC, Safran, Carmeuse, L’Oréal, UCB Pharma, Besix, Carrefour, Lidl, Sonaca, Total, D’Ieteren, la Stib, Colruyt, Kluber Lubrification, Lantmannen, Eurogentec ou encore Engie-Fabricom.

100.000 Entrepreneurs

En somme, la vraie nouveauté de ces programmes est de proposer une nouvelle forme d’apprentissage pratique aux élèves, en dehors des traditionnels stages effectués dans l’enseignement professionnel et technique. L’enseignement secondaire général n’est pas non plus oublié. L’association 100.000 Entrepreneurs, active en Wallonie et à Bruxelles, met par exemple en relation des professionnels avec des jeunes entre 13 et 25 ans. ” Notre rôle est de proposer à un entrepreneur – plutôt d’une PME ou un indépendant – d’évoquer son quotidien devant une classe d’élèves durant deux heures, avance Monica Santalena, directrice de l’association. Nous nous adressons aux jeunes en général mais nous remarquons que les demandes viennent surtout des classes d’élèves de 16 à 17 ans. C’est l’âge où ils peuvent choisir leur orientation. Notre but est de motiver à l’idée d’entreprendre. En cinq ans, nous avons sensibilisé 25.000 élèves grâce à un réseau de 600 enseignants et 1.500 entrepreneurs, tous bénévoles. ”

Un autre programme, encore à l’état de projet pilote, entend lui aussi introduire l’entrepreneuriat en milieu scolaire. Son nom ? Story-me. Créé en septembre 2017, ce programme a pour but d’apporter des pratiques de l’entreprise dans le milieu de l’enseignement obligatoire technique et professionnel à travers des ateliers pratiques (jeux, brainstormings, réflexions, etc.) afin de stimuler la créativité, l’esprit d’entreprise ou encore l’éveil aux métiers. D’ici 2020, le programme Story-me a l’ambition d’accompagner près de 3.000 élèves, soit 10% de l’enseignement qualifiant, en plein exercice et en formation en alternance dans la Région de Bruxelles-Capitale.

Par Géry Brusselmans.

“Il faut développer la formation en alternance”

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Jacques Spelkens, responsable de la responsabilité sociétale (RSE) chez Engie Benelux, développe depuis plus de 10 ans des partenariats avec l’enseignement.

TRENDS-TENDANCES. Que fait Engie en terme d’initiatives vers l’enseignement non supérieur ?

JACQUES SPELKENS. Engie opère des partenariats depuis déjà plus de 10 ans avec l’enseignement, essentiellement technique et professionnel. L’objectif est d’abord utilitariste : nous recherchons des profils rarement disponibles sur le marché de l’emploi. Pour opérer ce rapprochement, nous avons, par exemple, développé des partenariats avec des centres de formation en alternance, dont le Collège Don Bosco à Wilrijk et un Cefa (Centre d’éducation et de formation en alternance) à Fleurus. Au niveau secondaire, nous participons depuis plusieurs années au programme Entr’apprendre grâce auquel les enseignants s’immergent dans une entreprise. Ce stage permet à l’enseignant de rendre compte des réalités du terrain en classe. Bien souvent, les enseignants savent qu’il y a des écarts entre l’enseignement et les entreprises, notamment au point de vue du matériel utilisé et de la philosophie. Ces stages en entreprise permettent une remise à niveau.

Le milieu de l’entreprise occupe-t-il aujourd’hui une meilleure place dans l’enseignement ?

Cela s’améliore grâce aux corps intermédiaires qui réalisent des ponts, notamment la Fondation pour l’enseignement. Le nombre d’initiatives a été multiplié considérablement en l’espace de 15 ans. Un des leviers en Région wallonne et à Bruxelles est l’IBEFE (Instance bassin Enseignement-Formation-Emploi). Il s’agit d’organes paritaires, représentés par des acteurs de l’enseignement et de l’entreprise, dont un des rôles majeurs est l’appui au pilotage de l’enseignement qualifiant et de la formation professionnelle. Toujours au niveau secondaire, nous organisons aussi des stages d’observation pour le milieu technique, où nous expliquons durant une à deux semaines notre fonctionnement. Quand les jeunes diplômés savent dans quoi ils débarquent avant d’être engagés, c’est tout bénéfice pour l’entreprise.

Comment estimez-vous pouvoir encore renforcer ces ponts entre votre entreprise et l’enseignement ?

Je pense à la formation en alternance, qui combine la formation théorique avec des stages en entreprise. Ce type de formation fonctionne très bien en France et en Allemagne, mais il est plus difficile de la faire démarrer en Wallonie et en Flandre. Cela demande des efforts de l’entreprise car il faut faire accompagner des jeunes entre 16 et 21 ans par des formateurs de l’entreprise, qui délaissent donc temporairement les dossiers sur lesquels ils travaillent. Nous constatons que les jeunes issus de la formation en alternance ont plus de facilités à faire leur entrée en entreprise.

Tada, l’école du samedi pour les 10-14 ans

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Dès le plus jeune âge, des associations tentent de jeter un pont vers l’entreprise. C’est le cas de l’ASBL bilingue Tada, créée il y a six ans à Bruxelles (le projet fut initié aux Pays-Bas voici 20 ans), qui propose à des jeunes entre 10 et 14 ans issus de milieux défavorisés de suivre des ateliers pratiques chaque samedi à Molenbeek, Saint-Josse, Anderlecht et bientôt à Schaerbeek.

” L’idée est d’impliquer le monde de l’entreprise et le citoyen dans l’émancipation de la jeunesse vulnérable , précise Sofie Foets, instigatrice de Tada. Les jeunes suivent durant trois ans des ateliers pratiques chaque samedi, donnés par exemple par un journaliste, un avocat, un infirmier ou un ingénieur. La particularité de Tada, c’est que les jeunes sont dans l’action et mettent en pratique ce qu’enseignent les professionnels. Plus de 4.000 adultes sont déjà venus dialoguer bénévolement avec notre jeunesse. ” L’association TADA, financée uniquement par des soutiens privés (des philanthropes ainsi que des entreprises comme CVC Capital Partners et Axa Belgium entre autres), entend quant à elle offrir une ouverture à des jeunes qui, pour la plupart, ne sortent pas de leur quartier. ” Notre but premier n’est pas de faire découvrir les métiers, assure Sofie Foets. Nous motivons les jeunes à mieux se connaître et à apprendre, à créer l’envie de faire contribuer la société de façon positive. Notre rôle va parfois plus loin : un élève qui a participé aux ateliers du samedi avait déjà doublé plusieurs fois. Les ateliers lui ont redonné confiance, il est devenu premier de classe. ” Le concept TADA inspire également d’autres projets en dehors de Bruxelles : Kiddybuild de l’entreprise Besix, l’ASBL Tajo qui tente de lancer un concept similaire à Gand, et Ikigai, l’école du samedi, située à Bordeaux.

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