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L’arme de la faim et le protectionnisme à l’envers

Lire la chronique d' Amid Faljaoui Amid Faljaoui, directeur des magazines francophones de Roularta.

Je ne sais pas si vous l’avez remarqué mais le protectionnisme fonctionne aujourd’hui à l’envers. Avant lorsqu’un pays voulait se protéger, il interdisait l’entrée de produits ou de services étrangers en augmentant les droits de douanes ou en imposant des quotas. Il faut croire que ce protectionnisme de papa, c’est fini. Aujourd’hui, c’est le contraire: les pays qui veulent se protéger bloquent la vente de leurs produits à l’étranger, autrement dit, ils bloquent leurs exportations et pas leurs importations.

Nous en avions déjà fait les frais durant la pandémie du covid-19. A l’époque, plusieurs pays ont refusé l’exportation de leurs masques, de leurs respirateurs et de leurs médicaments, en prétextant qu’ils devaient d’abord s’occuper de leur propre population. Deux ans après, c’est exactement le même scénario mais avec les denrées alimentaires. La Malaisie vient par exemple d’interdire l’exportation de ses poulets depuis ce 1er juin. L’Inde avait bloqué récemment ses exportations de blé mais elle va le faire aussi avec le sucre.

Et maintenant la question se pose de savoir si l’Inde ne va pas également bloquer ou restreindre ses exportations de riz… C’est l’un des rares aliments qui n’a pas été frappé par la hausse des prix, mais l’Inde est tentée de restreindre les exportations de riz. Et deux autres pays, le Vietnam et la Thaïlande, n’attendent que cela pour imiter l’Inde et faire ainsi monter les prix des céréales. Le riz, je le rappelle, nourrit la moitié de notre planète et une hausse des prix n’est pas anecdotique.

Bien entendu, si tous ces pays – asiatiques le plus souvent – restreignent leurs exportations de céréales, c’est comme pour les masques durant le COVID, c’est parce qu’ils ont peur d’en manquer pour leur propre population. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’Indonésie avait mis aussi un frein à ses exportations d’huile de palme car ses étudiants étaient descendus dans la rue pour se plaindre des pénuries. Il faut aussi le dire, lorsque le prix de ces céréales augmente, les pays en question en profitent pour subventionner leurs paysans, qui doivent aussi affronter la hausse du prix de l’énergie et des engrais. Donc, c’est l’une des leçons que l’on peut tirer de cette guerre en Ukraine : il n’y a pas que les Russes qui utilisent l’arme des céréales, d’autres pays suivent le même chemin.

C’est une nouveauté dont on se serait bien passé, car si les restrictions sur les exportations ne sont pas neuves, avant elles se faisaient sur d’autres produits que les produits alimentaires. La Chine avait interdit l’exportation de ses terres rares, vous savez, ce sont ces terres qui recèlent les minerais indispensables pour les batteries de nos smartphones ou les batteries de nos voitures électriques. Les Etats-Unis ne sont pas privés, à un moment donné, d’interdire l’exportation de composants électroniques sensibles à destination de la Chine.

En réalité, tous ceux qui critiquaient la mondialisation et ses méfaits se rendent compte aujourd’hui que quand la mondialisation ne fonctionne plus, quand le commerce mondial est bloqué, quand les pays redeviennent chauvins, ce sont les personnes les plus pauvres, les plus précarisées qui en paient le prix via l’inflation. L’impôt invisible, comme on surnomme l’inflation, est en fait très visible ces derniers mois.

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