L’accord Suisse-UE peut-il être encore sauvé?

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La Suisse, peu pressée de signer avec l’UE un vaste accord réglant l’avenir de leurs relations, envoie vendredi à Bruxelles son président dans l’espoir de convaincre les Européens de renégocier le texte.

Cette sorte de super accord vise à homogénéiser le cadre juridique concernant la participation de la Suisse au marché unique de l’UE et instaure un mécanisme de règlement des différends.

L’enjeu est de taille pour la Suisse: l’Union européenne est le principal partenaire économique du pays alpin, qui gagne un franc sur trois par ses échanges commerciaux avec l’UE.

L’accord est réclamé depuis plus de dix ans par l’UE, mais les négociations n’ont démarré qu’en 2014 et Bruxelles estime qu’elles se sont achevées fin 2018. La Suisse considère toutefois que certains points restent litigieux, et laisse le dossier traîner en longueur.

La crise du Covid a offert un long répit au gouvernement suisse, mais Bruxelles, las des atermoiements helvétiques, le presse de prendre position.

A Berne, la discrétion était de mise avant la rencontre vendredi à Bruxelles entre le président suisse Guy Parmelin et la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen.

“Le Conseil fédéral (gouvernement, ndlr) est prêt”, s’est contenté de déclarer son porte-parole mercredi, tout en refusant de dire ce que le président suisse allait mettre sur la table.

En Suisse, bon nombre d’observateurs estimaient jusqu’à peu que l’accord était politiquement mort. Mais certains ont repris espoir depuis que le journal Blick a annoncé cette semaine que la Suisse pourrait proposer une solution inédite, qui passerait par un coup de pouce aux pays d’Europe de l’Est en leur accordant un assouplissement des conditions d’obtention des permis de résidence.

– “Un prérequis” –

Si cet accord n’est pas comparable au Brexit, l’enjeu est de taille pour la Suisse. Car l’UE pose comme condition préalable à la conclusion de tout nouvel accord bilatéral d’accès à son marché, la signature de l’accord institutionnel.

Comme l’a encore récemment déclaré le porte-parole de l’exécutif européen Eric Mamer, “cet accord est crucial pour le développement de la relation entre l’Union européenne et la Suisse, et de fait c’est un prérequis pour la continuation du développement de ces relations.”

C’est avec cet avertissement en tête que le président suisse se rend à Bruxelles, pressé par les milieux économiques de sauver l’accord.

Mais de nombreux partis ne voient guère d’un bon oeil la volonté des Européens de dompter le petit pays alpin, à l’image du parti populiste de droite UDC, premier parti suisse, qui qualifie l’accord de “diktat de Bruxelles”. Et certains demandent que le texte soit soumis au référendum, ce qui est tout à fait possible grâce au système suisse de démocratie directe.

Si parler d’Europe ne soulève guère l’enthousiasme en Suisse, les différents gouvernements sont toutefois parvenus au fil du temps à souder les liens avec l’UE grâce à plus d’une centaine d’accords bilatéraux, qui lui permettent de jouir du marché unique européen dans de nombreux secteurs.

Mais soucieuse de ne pas laisser croire qu’une UE à la carte est possible, Bruxelles réclame depuis 2008 un accord institutionnel pour que la Suisse puisse bénéficier de tout le potentiel du marché intérieur européen.

Le champ d’application de cette structure englobante serait limité aux cinq accords d’accès au marché existants (libre circulation des personnes, transports terrestres, transport aérien, obstacles techniques au commerce et agriculture), ainsi qu’aux futurs accords d’accès au marché (par exemple dans le domaine de l’électricité).

Mais les Suisses craignent que ce texte nuise à la protection des salaires suisses, plus élevés que dans l’UE en raison du coût de la vie. Le Conseil fédéral suisse a également demandé des clarifications sur deux autres points: les dispositions européennes relatives aux aides publiques qui pour certains en Suisse sont trop restrictives, et la directive sur la libre circulation des citoyens qui pourrait in fine élargir l’accès des Européens aux prestations sociales suisses.

Les relations Suisse-UE, c’est compliqué !

La Suisse, non membre de l’UE, veille à préserver ses relations, parfois compliquées, avec Bruxelles, son principal partenaire, grâce à plus de 120 accords bilatéraux.

– Un partenaire naturel –

L’Union européenne est de loin le partenaire le plus important de la Suisse, tant en raison de son poids économique et politique qu’en raison de sa proximité culturelle et géographique.

La Suisse gagne un franc sur trois par ses échanges commerciaux avec l’UE. Aujourd’hui, près de 51% des exportations suisses sont destinées à l’UE et environ 69% des importations helvétiques proviennent de l’Union.

Le volume des échanges commerciaux entre la Suisse et l’UE par jour ouvrable s’élève à un milliard de francs suisses (plus de 900 millions d’euros). La Suisse compte parmi les trois principaux partenaires commerciaux de l’UE, aux côtés des Etats-Unis et de la Chine.

Quelque 450.000 ressortissants suisses vivent dans l’Union européenne et environ 1,4 million de ressortissants européens habitent en Suisse.

Environ 340.000 frontaliers de l’UE viennent chaque jour y travailler.

En Suisse, quelque 1,5 million d’emplois sont directement liés aux relations helvético-européennes.

– Plus de 120 accords bilatéraux –

L’accord de libre-échange conclu en 1972 entre la Suisse et la Communauté économique européenne (CEE), l’ancêtre de l’UE, a créé une zone de libre-échange pour les produits industriels et a permis de régir le commerce des produits agricoles transformés. Il a été suivi en 1990 d’un accord simplifiant les contrôles et les formalités douanières dans les échanges de biens.

En mai 1992, la Suisse a déposé une demande d’ouverture de pourparlers en vue d’une adhésion à la CEE.

Mais quelques mois plus tard, en décembre de la même année, les électeurs suisses, dont une partie reste profondément attachée à ses particularismes et à sa neutralité, ont tout remis en question, en refusant par référendum l’adhésion de leur pays à l’Espace économique européen (EEE), présenté à l’époque comme l’antichambre de l’UE.

Depuis, la Suisse fonde sa politique européenne sur des accords bilatéraux sectoriels, soutenus par le peuple suisse lors de plusieurs votations. Transport aérien, marchés publics, agriculture, coopération policière…. plus de 120 accords règlent ainsi les questions concrètes entre les deux partenaires.

Un premier paquet d’accord a été signé en 1999 (Accord bilatéraux I), puis un deuxième (Accords bilatéraux II), en 2014. Ils donnent un large accès réciproque aux marchés et permettent une collaboration intense dans d’autres domaines.

Ces accords sont automatiquement étendus aux nouveaux Etats membres lors de leur adhésion à l’UE. Seul l’accord sur la libre circulation des personnes (ALCP) est renégocié avec chaque nouvel Etat membre de l’UE.

– Secret bancaire et immigration –

Certains sujets épineux ont compliqué les relations entre la Suisse et l’UE.

C’est le cas notamment du secret bancaire, qui pendant longtemps a été la clé de voûte du puissant système financier helvétique. Mais face à la pression internationale, notamment européenne, la Suisse a fini par l’assouplir.

En 2015, Berne et Bruxelles ont signé un accord sur l’échange automatique de renseignements en matière fiscale: de sorte que depuis 2018, la Suisse et chacun des pays de l’UE échangent ainsi automatiquement des données bancaires.

L’immigration est un autre sujet de fâcherie entre Européens et Suisse qui a éclaté en février 2014 lorsque les Suisses se sont prononcés dans les urnes en faveur de l’introduction de quotas annuels de migrants. Ce vote avait provoqué le courroux de Bruxelles qui avait alors gelé des programmes bilatéraux en matière de recherche et d’éducation (Erasmus).

Afin de ne pas froisser l’UE, les autorités suisses avaient fini par adoucir le texte de mise en oeuvre de l’initiative. Adopté en 2016 par le Parlement suisse, il donne une préférence nationale à l’embauche et établit des formalités supplémentaires pour les employeurs basés en Suisse voulant faire venir des employés européens.

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