Josep Borrell: “Chaque citoyen européen devrait relire le discours de Poutine”
C’est rare quand un diplomate emploie un langage peu diplomatique. C’est encore plus rare quand il s’agit du premier des diplomates européens, et c’est encore beaucoup plus rare quand il se livre à une autocritique de la politique européenne. C’est pourtant ce que le haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la sécurité, Josep Borrell, a fait ce lundi devant l’ensemble des ambassadeurs des Etats membres.
Josep Borrell annonce très vite la couleur: “Ce n’est pas un moment où nous allons envoyer des fleurs à chacun d’entre vous en disant que vous êtes beaux, que vous travaillez très bien et que nous sommes très heureux, que nous sommes une grande famille, etc.”
Il poursuit : “Nous, Européens, sommes confrontés à une situation dans laquelle nous subissons les conséquences d’un processus qui dure depuis des années et dans lequel nous avons découplé les sources de notre prospérité des sources de notre sécurité.”
Une erreur stratégique
Car la grande erreur de l’Europe a été de se reposer sur les autres pour assurer sa prospérité.
“Notre prospérité a été fondée sur une énergie bon marché en provenance de Russie. Le gaz russe – bon marché et prétendument abordable, sûr et stable. Il a été prouvé que ce n’était pas le cas. (Notre prospérité a aussi été fondée sur) l’accès au grand marché chinois, pour les exportations et les importations, pour les transferts technologiques, pour les investissements, pour avoir des produits bon marché”. Et là aussi, les lignes bougent.
Josep Borrell n’épargne pas les banques centrales. “Je pense que les travailleurs chinois, avec leurs bas salaires, ont fait beaucoup mieux et beaucoup plus pour contenir l’inflation que toutes les banques centrales réunies”.
Une erreur de méthode
Le patron des diplomates européens titille aussi l’efficacité très relative du corps diplomatique. “Je pense que nous devons être plus rapides et prendre des risques. J’ai besoin que vous fassiez des rapports rapides, en temps réel, sur ce qui se passe dans vos pays. Je veux être informé par vous, et non par la presse. Parfois, j’en savais plus sur ce qui se passait quelque part en lisant les journaux qu’en lisant vos rapports.”
Une erreur de perception
Et puis, sur la guerre en Ukraine, le patron de la diplomatie européenne pointe un aveuglement qui nous coûte cher.
“Nous ne croyions pas que la guerre allait arriver. Je dois reconnaître qu’ici, à Bruxelles, les Américains nous disaient “Ils vont attaquer, ils vont attaquer”, et nous étions réticents à le croire. Et je me souviens très bien quand (le secrétaire d’État américain) Tony Blinken m’a téléphoné et m’a dit “eh bien, cela va se passer ce week-end”. Et deux jours plus tard, à cinq heures du matin, ils ont commencé à bombarder Kiev. Nous ne pensions pas que cela allait se produire, et nous n’avions pas prévu que l’Ukraine était prête à résister avec autant d’acharnement et de succès qu’elle le fait. Certainement, grâce à notre soutien militaire. Sans cela, cela aurait été impossible, mais les Ukrainiens ont aussi fait quelques petites choses de leur côté !”
Josep Borrell conseille de faire bien attention désormais à ce qui vient du Kremlin. “Nous n’avions pas prévu non plus la capacité de Poutine à ‘intensifier le niveau de mobilisation de masse et les menaces nucléaires ouvertes. Je suppose que vous avez tous lu et relu le dernier discours de Poutine lorsqu’il a déclaré l’annexion (des quatre provinces ukrainiennes de Donetsk, Kherson, Louhansk et Zaporijjia, NDLR). C’est une nécessité. Chaque citoyen européen doit lire ce discours – et vous, en particulier”
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