Jeholet: “Il faut introduire le numérique dès l’école”
Durant ses premiers mois de ministre wallon du Numérique, Pierre-Yves Jeholet, s’est montré discret sur ses ambitions en matière de technologies. Il nous réserve, en exclusivité, sa première interview entièrement consacrée à l’univers digital. Il fait le point sur les mesures prises avant lui et définit ses priorités.
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Si la Wallonie cherche encore ses grandes stars du numérique, elle a identifié voici quelques années une stratégie digitale qu’elle continue de développer. Le nouveau ministre du Numérique Pierre-Yves Jeholet s’inscrit, malgré une appartenance politique différente de celle de son prédécesseur, dans cette même stratégie appliquée par l’Agence du numérique. Il veut néanmoins placer l’efficacité au centre de l’ensemble des actions liées au numérique.
TRENDS-TENDANCES. Vous avez attendu quelques mois avant de vous exprimer spécifiquement sur les sujets liés au numérique en Wallonie. Pourquoi ?
PIERRE-YVES JEHOLET. Un plan très complet avait été présenté avec beaucoup d’enthousiasme avant moi. Il comprend un certain nombre de mesures et je ne souhaitais pas réinventer l’eau chaude. Je voulais réaliser mon état des lieux et m’appuyer sur le travail qui avait été réalisé.
Votre prédécesseur était PS. Est-ce que votre vision d’homme politique libéral est la même sur le rôle des autorités dans le développement du numérique. Est-ce le rôle du public de financer des start-up, notamment au travers de fonds comme le W.I.N.G ?
L’importance de l’autorité publique, c’est avant tout le message que l’on véhicule par rapport au numérique et aux nouvelles technologies. Je ne veux pas être le ministre qui attise les peurs mais au contraire celui qui sensibilise les citoyens, les entreprises, les indépendants et les commerçants aux opportunités du digital. L’avenir sera numérique et la Wallonie doit être une terre d’excellence en la matière car les opportunités sont là. Ensuite, il faut mettre un cadre en place : on ne peut pas parler de Wallonie digitale et imaginer de taxer les robots ou les pylônes GSM. Sur ce dernier sujet, l’ancien gouvernement a beaucoup traîné et on a perdu beaucoup de temps. On doit faire en sorte que l’ensemble de la Wallonie soit le plus connecté possible. Enfin, sur le fait de financer des start-up, je ne vois pas pourquoi le numérique ne pourrait pas être soutenu financièrement. Des invests existent, des opérateurs de financement sont là pour les PME (Sowalfin), la SRIW pour les grandes entreprises, la Sogepa pour les entreprises en difficulté. Donc financer des projets numériques ne me pose pas de problème. Par contre, ce n’est pas le rôle du public de financer absolument tous les projets. Par rapport à mon prédécesseur, je marque une nette différence au niveau du curseur de l’aide publique que l’on octroie.
Le débat sur l’intelligence artificielle doit se faire sur la scène européenne.
Quelle est cette différence de curseur ?
Prenons l’exemple du fonds W.I.N.G : il a été alimenté à hauteur de 50 millions sur cinq ans. Mais ce n’est pas parce que l’argent est là qu’il faut absolument l’utiliser. Il faut que les projets tiennent la route et soient crédibles. Ils doivent être examinés, avec tout le sérieux nécessaire, par le jury du fonds en mettant le curseur assez haut.
Vous pensez que c’est aujourd’hui trop facile d’obtenir des financements via le fonds W.I.N.G ?
Je le jugerai. Et je veux en tout cas mettre le curseur assez haut. Je veux que les projets soient bons même si je suis assez ouvert. J’ai d’ailleurs décloisonné le plafond d’investissement de 250.000 euros à 500.000 euros.
La politique mise en place jusqu’ici n’a pas encore permis l’éclosion de grandes stars du numérique en Wallonie. Est-ce un échec ?
C’est un retard, pas un échec. Il y a huit ou neuf ans, ce constat de retard était déjà le même. On parle de l’école numérique mise en place depuis deux ou trois ans, mais d’autres régions l’ont fait depuis bien longtemps. Toutefois, il faut reconnaître qu’il y a, désormais, une stratégie du numérique. Je reste positif et je sens un terreau qui se développe fortement. Il faut donner la priorité à certaines mesures et essayer d’optimiser les moyens publics.
Cela passe-t-il par une simplification des structures du numérique ?
Il y a beaucoup d’acteurs du numérique. Quand le paysage devient illisible, ce n’est au bénéfice de personne. Il faut savoir qui fait quoi. Le problème est de toujours vouloir mettre en place de nouvelles structures, parce qu’elles nécessitent des frais de fonctionnement, un directeur, des subventions. Il faut éviter de dilapider l’argent public tout comme le saupoudrage et le sous-régionalisme. C’est la situation aujourd’hui. Prenez les invests : est-ce que chaque invest doit créer une filiale du numérique ? Je ne le pense pas. On ne doit pas être sous-localistes, or on l’est parfois dans l’attribution de moyens. Je me base sur le Conseil du numérique, sur l’Agence du numérique pour le volet opérationnel et sur le W.I.N.G au niveau des investissements. Le lancement de Digital Wallonia Hub par exemple m’interpelle. Pourquoi ne pas renforcer le W.I.N.G : pourquoi devoir créer un dispositif ? Nous devons viser l’efficacité et l’efficience.
Prévoyez-vous d’autres mesures en matière de rationalisation ?
On ne saura pas tout faire dans le numérique en Wallonie. Il faudra sans doute concentrer nos efforts sur certains secteurs prioritaires. Pourquoi ne pas considérer que l’e-santé soit une priorité puisqu’on est à la pointe en matière de santé en Wallonie ? C’est une question de choix et d’identification de secteurs économiques à fort potentiel que l’on peut renforcer au travers du numérique pour en faire des locomotives européennes. On a des budgets en matière de numérique et de recherche donc il s’agirait de concentrer nos moyens dans ces projets. Il est vrai que c’est un choix et que cela se fera au détriment d’autres domaines.
Avez-vous déjà identifié ces secteurs porteurs ?
Non. Je citais l’e-santé, mais on peut aussi parler de la cybersécurité ou encore des drones. Il faudra faire le travail d’identification des secteurs, les soutenir avec du financement public et compter aussi sur l’appui d’investisseurs privés qui sont prêts à accompagner.
En parlant du privé, certains avaient claironné au moment de l’installation d’un ” datacenter ” Google à Ghlin. On parlait d’un futur écosystème dans la région. Aujourd’hui, on voit que ce n’est pas le cas. Ce type de mesures est-il un échec en matière de retour pour la Wallonie ?
Ce sont les mêmes qui faisaient preuve d’un optimisme exacerbé en parlant des intérêts notionnels. Le fait d’avoir Google est évidemment une bonne chose pour la Wallonie. Ce type d’entreprises veut s’impliquer localement. Elles veulent avoir une implication citoyenne. Par rapport à ce que cela a pu générer économiquement dans la région, je suis plus nuancé. Cela reste important d’attirer ce type d’acteurs en Wallonie, mais avoir un succès de quelques start-up permettrait de lancer, encore plus fortement, un écosytème comme on en rêve tous.
Vous ne cherchez donc pas à attirer par tous les moyens d’autres géants du numérique sur les terres wallonnes ?
Si Facebook ou Amazon veulent venir s’installer en Wallonie, pourquoi pas. (rires)
Quelle est votre vision sur les Gafa qui sont au coeur de nombreuses attentions, notamment au niveau fiscal ?
C’est un débat qui doit être mené au niveau européen car une initiative prise par un seul pays n’aurait aucun sens. Une harmonisation fiscale européenne par rapport à ces grands groupes ne me pose aucun problème. La fiscalité doit s’adapter à l’évolution de ce secteur. Mais réagir seul n’aurait aucun sens. Porter le débat au niveau wallon, ce serait faire preuve d’une dimension conservatrice qui nous empêcherait de rentrer dans l’ère numérique.
Comment comptez-vous faire des Wallons une population ” digital ready ” ?
Cela passe par une sensibilisation très forte. On ne peut pas dire que Digital Wallonia soit une marque aujourd’hui auprès des citoyens, des enseignants ou même de certains fonctionnaires. Je réfléchis à une vraie campagne d’une certaine ampleur concernant la stratégie digitale des enjeux du numérique. Le but est de sensibiliser fortement la population à travers une campagne de promotion mais aussi à travers des opérations d’information auprès de l’entreprise, de l’école, etc. Y a-t-il une recette miracle pour sensibiliser tous les Wallons au digital ? Non. Je pense qu’il y a un travail collectif à mener. Des projets comme Coder Dojo (des ateliers gratuits de programmation pour les filles et garçons de 7 à 18 ans, Ndlr) y participent.
Que comptez-vous faire d’autre ?
En matière d’emploi, c’est clair que le numérique aura des conséquences. Il faut que nos opérateurs de formation, le Forem ou l’IFAPME, intègrent l’aspect numérique.Nous aurions déjà dû le faire. Ce qui a changé c’est qu’on doit désormais se former tous les jours parce que le métier que l’on exerce devient totalement différent cinq ans après avoir été diplômé. Au niveau de l’école, le pacte d’excellence aborde vaguement le sujet, mais nous ne pouvons pas dire qu’il soit ambitieux par rapport au numérique, aux nouvelles technologies et aux défis de demain. Je le regrette car c’est dès le plus jeune âge qu’il faut sensibiliser à l’importance du numérique et aujourd’hui trop peu de choses se font au niveau de l’enseignement. Malgré tout, on équipe les écoles, avec des moyens importants de l’ordre de 10 millions d’euros par année. Aussi, il faut apprendre aux enfants à apprendre et à s’adapter. Et pas qu’aux enfants d’ailleurs.
On ne saura pas tout faire dans le numérique en Wallonie. Il faudra sans doute concentrer nos efforts sur certains secteurs prioritaires.
L’intelligence artificielle (IA) est au centre des attentions pour l’instant. Quel regard portez-vous sur elle ?
C’est comme toutes les nouvelles technologies : elles ont toujours fait peur mais je ne crois pas qu’en Wallonie on pourra bloquer l’intelligence artificielle. L’Europe a un rôle à jouer par rapport à l’intelligence artificielle. C’est au minimum sur la scène européenne que cela doit se jouer. Aujourd’hui, je ne connais pas toutes les capacités de l’IA et ne sais pas jusqu’où cela va nous mener. Mais l’intelligence artificielle nous amène à nous poser des questions.
Vous renvoyez la balle à l’Europe, mais ne doit-on pas déjà agir, sur notre terrain, en préparant la population ? N’est-ce pas un enjeu prioritaire ?
C’est de la pédagogie, de l’information, de la sensibilisation. Dire qu’on ne se pose pas de questions, ce n’est pas le cas. Je lis beaucoup d’études et de livres, notamment de Laurent Alexandre.
Justement, Laurent Alexandre, spécialiste de l’intelligence artificielle, pointe le risque de voir des pans entiers de la population rester sur le carreau si on n’agit pas rapidement au niveau de la formation. N’est-ce pas un appel du pied pour vous, en tant que décideur ?
Il a le sens de la formule et c’est vrai qu’il interpelle. ” Bougez-vous “, d’accord, mais est-ce qu’il y a des propositions concrètes derrière cela ? La première mesure concrète, c’est d’informer, car il y a une méconnaissance de ce que l’intelligence artificielle peut apporter de bien ou de mal. Mais c’est un débat qui va venir …
Ce débat n’en est pas encore là au niveau politique ?
En termes de décisions ou de mesures, non. Imaginez la frilosité et le retard de la Wallonie au niveau du numérique… On en a du chemin à faire. L’IA va faire partie du débat numérique et quand on parlera du numérique, on parlera de l’IA.
Sauf que l’IA impose un vrai ” shift ” au niveau de la formation et de la préparation des travailleurs…
Il faut agir dès l’école. Il faudra intégrer une ou deux heures de numérique dans le programme. Le français, les maths garderont tout leur sens, mais il faudra intégrer le numérique dans le programme dès l’école. Au niveau de la formation, il faut identifier quels sont les métiers dont on va avoir besoin. Avec l’arrivée des bus autonomes, par exemple, je ne suis pas sûr que se posera encore la question du service minimum. Quel type de métiers les chauffeurs de bus pourront-ils exercer demain ? Je veux pousser des organismes comme le Forem ou l’IFAPME à anticiper les besoins du marché. Ce sont des demandes que j’ai faites, mais il n’y a pas eu de réflexion sur la question. Déjà sur les métiers en pénurie, ce n’est pas simple… Tous les spécialistes sont eux-mêmes dépassés. Une majorité des décideurs l’est aussi.
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