Jean-Bernard Levy, Directeur Général d’EDF: “Ce n’est pas nous qui offrirons une solution de court terme à la Belgique”

Jean-Bernard Levy © BELGA IMAGE

Le patron du géant français de l’électricité EDF se réjouit de l’inclusion par la Commission européenne du nucléaire dans la liste des investissements durables. Et il observe qu’avant 2035, le nucléaire n’est plus une option pour résoudre nos problèmes énergétiques belgo-belges.

Beaucoup de choses bougent sur le nucléaire ces temps-ci. Alors que notre gouvernement a théoriquement décidé de fermer les centrales en 2025, la France va construire six nouvelles centrales EPR (European Pressurized Reactor) pour un montant de 50 milliards d’euros. Aux Pays-Bas, le nouveau gouvernement de Mark Rutte vient de se prononcer pour la construction, à l’échéance 2033, de deux nouvelles centrales ainsi que pour la prolongation de l’utilisation de celle de Borssele, à une quinzaine de kilomètres de la frontière belge. Par ailleurs, la Commission européenne a décidé d’inclure le nucléaire (ainsi que de manière transitoire les centrales au gaz de dernière génération) dans sa “taxonomie”, cette liste des activités jugées salutaires pour le climat et pouvant donc bénéficier du label “vert” de l’Union européenne.

Les Belges vont devoir en partie produire davantage d’électricité avec des centrales au gaz, mais aussi avoir recours aux importations.

“Il y a un réveil des consciences sur le nucléaire”, se réjouit le directeur général d’EDF Jean-Bernard Levy à l’occasion d’une rencontre organisée par l’AJEF, l’association française des journalistes économiques et financiers. Car s’il y a bien un groupe européen qui symbolise l’énergie nucléaire, c’est le géant de l’électricité EDF. Détenu à plus de 80% par l’Etat français, il possède un parc de 56 réacteurs d’une capacité supérieure à 61 GW, 10 fois plus que le parc nucléaire belge qui vit normalement sa phase terminale.

“Je voudrais rendre hommage à ceux qui reconnaissaient, il y a déjà quelques années, que nous ne pourrions pas gérer efficacement la transition énergétique et atteindre la neutralité carbone dans 30 ans sans recourir au nucléaire”, poursuit le patron d’EDF qui cite le Giec et l’Agence internationale de l’énergie. Ces agences disaient déjà que le renouvelable ne suffirait pas s’il fallait accélérer la sortie des énergies fossiles.

“Nous avons convaincu le gouvernement français. Il faut maintenant des actes, pas simplement prolonger le parc mais construire de nouvelles centrales”, poursuit-il. Et pour cela, l’entrée de l’atome dans la “taxonomie européenne” décidée par la Commission est une très bonne chose.

Taxonomie révolutionnaire

Une dizaine d’Etats membres pro-nucléaires (France, Finlande, Pologne, etc.) ont obtenu de la Commission qu’il y ait un deuxième acte délégué (qui est en droit européen l’équivalent d’un décret, mais promulgué par la Commission) sur la liste des activités et des secteurs pouvant bénéficier du label durable. Le premier acte concernait les activités renouvelables, il a maintenant force de loi. Et le 31 décembre, la Commission a rendu public le projet d’un deuxième acte délégué qui suscite beaucoup de remous en Allemagne mais qui devrait inclure dans la taxonomie le nucléaire et les centrales au gaz de dernière génération. “Le nucléaire aura sa place en Europe et pourra se faire financer au titre des investissements durables et de transition, à de bonnes conditions, dans le cadre de la recherche du net zéro en 2050”, résume Jean-Bernard Levy.

De bonnes conditions en effet car cette taxonomie va permettre de jouer des avantages de la finance verte ( green bonds, prêts de la Banque européenne d’investissement, etc.) pour développer le secteur de l’atome. Tout profit pour la rentabilité des projets nucléaires. Jean-Bernard Levy insiste donc: “Cette nouvelle taxonomie est révolutionnaire, dit-il. Il est probable qu’il existe à terme une forte différence à la fois dans la profondeur des financements disponibles et dans le coût de ces financements entre les investissements éligibles à cette taxonomie et ceux qui ne le sont pas. Selon que la construction de centrales soit financée avec l’aide de cette taxonomie et le soutien de l’Etat, ou qu’elle soit financée par des investisseurs privés (sans garantie étatique), le prix de revient de l’électricité peut aller du simple au double. Les opposants au nucléaire vont prendre cette dernière hypothèse, irréaliste car aucun financement nucléaire aujourd’hui ne se fait sur une base purement privée. Mais si le financement se fait avec garantie de l’Etat, le prix de revient du nucléaire est très compétitif”. Même en tenant compte des coûts d’un futur démantèlement des centrales? “Oui, nos estimations tiennent toujours compte du démantèlement”, répond-il.

Pas de contact avec la Belgique

Le patron d’EDF a également commenté la situation énergétique belge. Il a évoqué la possibilité de renforcer à terme notre production d’électricité par de petites centrales nucléaires, une activité pour laquelle le gouvernement belge va débloquer un petit budget (25 millions d’euros). Mais pour Jean-Bernard Levy, cette possibilité n’est pas envisageable avant 10 ans. “Il se construit aujourd’hui une poignée de petits réacteurs à vocation commerciale, en Russie et en Chine. En Occident, il y a beaucoup de projets à différents stades de la conception. En France, nous avons décidé, avec le soutien de l’Etat, de concentrer nos moyens sur un concept qui s’appelle Nuward. Il s’agit d’un projet piloté par EDF et dans lequel on trouve aussi TechnicAtome, Naval Group et le Commissariat français à l’énergie atomique. Il est porté par le président Emmanuel Macron qui en a fait le premier des 10 chantiers du plan France 2030. Un milliard d’euros est dévolu à ces technologies de rupture dans le nucléaire”. Mais à moins de s’approvisionner en Chine ou en Russie, ce qui ne serait pas sans poser des questions stratégiques, ces petits réacteurs nucléaires modulaires n’en sont qu’au stade de concept. “Aujourd’hui, nous sommes en train de préparer les éléments de conception générale”, précise Jean-Bernard Levy. Il faudra ensuite réaliser les plans de détail, intégrer le projet dans le futur programme énergétique français (le plan actuel court jusqu’en 2028). Bref, les premières petites centrales modulaires devraient être mises en service “au plus tard en 2035”, résume le patron d’EDF, qui estime “ne pas être en retard par rapport aux autres projets de réacteur modulaire dans les pays occidentaux”.

“Ce n’est pas nous qui apporterons des solutions de court terme à la Belgique, conclut Jean-Bernard Levy. Je n’ai pas un calendrier compatible avec l’arrêt définitif du parc belge en 2025, soit 10 ans plus tôt, ajoute-t-il. Les Belges vont donc devoir en partie produire davantage d’électricité avec des centrales au gaz, mais aussi avoir recours aux importations, largement en provenance d’Allemagne, d’électricité fournies par des centrales au gaz et au lignite.”

Et quid de la prolongation des deux réacteurs (Doel 4 et Tihange 3) évoquée en conseil des ministres fin décembre, soit le “plan B” pour assurer la sécurité énergétique si jamais la construction de nouvelles centrales au gaz était compromise? Elle n’est plus possible. “Nous avons des accords de partage d’informations techniques entre Electrabel et EDF depuis des décennies. Mais nous n’avons aucun contact stratégique, ni avec Engie, ni avec le gouvernement belge”, observe Jean-Bernard Levy. Le patron français rappelle qu’Engie a affirmé qu’il était trop tard pour prolonger ces centrales. Et si le gouvernement belge se tournait vers EDF? “Nous dirions sans doute non. Je ne vois pas pourquoi nous pourrions mettre ces centrales à niveau si Engie dit qu’il est trop tard pour le faire.” Après Engie, c’est donc EDF qui dit que notre plan B ne tient pas la route…

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