Philippe Ledent

Il n’y a pas de pause pour l’emploi

Philippe Ledent Senior economist chez ING Belgique, chargé de cours à l'UCLouvain.

Si l’on peut se réjouir de la trajectoire de l’emploi depuis le début de la crise, il faut garder à l’esprit que cette évolution ne permettra pas nécessairement d’améliorer la trajectoire des finances publiques.

Le cycle économique qui a débuté avec la crise du covid ne finit pas de nous étonner. Ainsi, au troisième trimestre de cette année, l’activité économique mesurée par le PIB est revenue à son niveau d’avant-crise (pour être précis, il le dépasse même de 0,5%…). Par ailleurs, alors que la Belgique comptait un peu plus de 5 millions d’emplois à la fin de l’année 2019, après une correction modérée durant les premier et deuxième trimestres de 2020, cet emploi est reparti à la hausse et on dénombrait, au troisième trimestre de 2021, près de 80.000 emplois de plus qu’avant la crise (dernier trimestre 2019).

Pour mettre cette évolution en perspective, retenons qu’il avait fallu pas moins de trois ans (soit 12 trimestres) après la crise financière de 2008 pour arriver au même résultat. Et pourtant, le choc avait été moindre. Le type de choc et les mesures de soutien à l’économie expliquent évidemment cette différence.

Deux importants secteurs ont subi d’importantes pertes d’emplois au début de la crise. Il s’agit, sans surprise, du commerce, du transport et de l’horeca d’une part, et des activités spécialisées, scientifiques, techniques et administratives de l’autre. Chacun de ces deux secteurs représente environ 1 million d’emplois en Belgique et durant la première phase de la crise, ils en ont perdu respectivement 20.000 et 30.000. Ceci étant, dans les deux cas, l’emploi est à nouveau en hausse et rattrape même sa tendance pré-crise. Ainsi, le secteur des activités spécialisées est déjà redevenu un des plus grands pourvoyeurs d’emplois, comme c’était le cas précédemment.

Pour le reste, les évolutions observées au cours des 10 dernières années se sont poursuivies, comme si de rien n’était: la finance et les assurances continuent de perdre des emplois (près de 3.000 depuis le début de la crise), de même que l’industrie, mais dans une bien moindre mesure. A l’opposé, les administrations publiques (+16.100 emplois depuis le début de la crise) et le secteur des soins de santé et de l’action sociale (+22.200 emplois) mènent le train des créations d’emplois.

On peut déduire de ce qui est écrit ci-dessus que si l’activité économique a progressé de 0,5% depuis le début de la crise, l’emploi a lui augmenté de 1,5%. En d’autres termes, l’emploi progresse plus vite que l’activité, ce qui signifie aussi que chaque travailleur produit moins d’activité économique.

Deux phénomènes agissent ici. D’une part, le chômage temporaire est toujours fortement utilisé. En octobre, plus de 130.000 travailleurs utilisaient encore le système, cumulant 860.000 jours chômés. Ce sont donc pas moins de 40.000 équivalents temps plein effectivement en emploi mais n’ayant pas d’activité. D’autre part, les créations d’emplois dans certains secteurs (et les pertes dans d’autres) se traduisent par un glissement intersectoriel de l’emploi favorable aux secteurs où la valeur ajoutée mesurée par travailleur est plus faible. Dans ces conditions, il est normal que l’emploi progresse plus vite que le PIB.

Mais ce n’est pas sans conséquence, notamment sur les finances publiques. Au-delà du fait qu’un grand nombre d’emplois créés le sont dans le secteur public ou subventionné, ce qui nécessite des moyens, ce n’est pas le nombre d’emplois qui détermine les recettes de l’Etat mais les revenus ou, plus largement, l’activité qu’ils génèrent, c’est-à-dire le PIB.

Dès lors, si l’on peut se réjouir de la trajectoire de l’emploi depuis le début de la crise, et plus largement au cours des dernières années, il faut garder à l’esprit que cette évolution ne permettra pas nécessairement d’améliorer la trajectoire des finances publiques. A la vue des derniers chiffres en la matière, cela devrait nous inquiéter…

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