Igor Makarov, fidèle de Poutine et faiseur de roi du cyclisme, occupe le poste le plus élevé à l’UCI

Igor Makarov © Trends
Alain Mouton Journaliste chez Trends  

Avec le Tour des Flandres qui a eu lieu dimanche et les nombreuses classiques de premier plan qui arrivent en avril, la saison cycliste connaît ses premiers temps forts. Et cela détourne l’attention d’une situation gênante, qui se trame au sommet de la fédération internationale de cyclisme (UCI). A savoir, que le très riche entrepreneur russe et fidèle du Kremlin, Igor Makarov y joue toujours un rôle très influent.

En avril, la Belgique et le nord de la France sont le théâtre de courses cyclistes de prestige. Après l’arrivée du Tour des Flandres dimanche à Audenarde, l’attention se tourne vers les pavés Paris-Roubaix avec l’arrivée dans l’ancienne ville textile.

C’est dans cette ville, au Vélodrome Couvert Régional Jean Stablinski que se sont déroulés les championnats du monde de cyclisme sur piste, à la fin du mois d’octobre 2021. Pour la plupart des amateurs de la petite reine, c’est la chose la plus normale du monde, surtout si l’on considère la résonance mythique qu’a Roubaix dans le monde du cyclisme. En fait, ces championnats du monde n’étaient pas censés se dérouler dans cette ville du nord de la France. À l’origine, il était prévu qu’ils se déroulent au Turkménistan, mais la crise sanitaire mondiale a retardé les travaux. Après, les championnats européens de cyclisme sur piste à Minsk ont également été annulés fin juin 2021, en raison des tensions dans la région. De tels événements cyclistes en Biélorussie et au Turkménistan, des pays sans réelle tradition cycliste : cela paraît étrange…

L’explication se trouve en une seule personne : Igor Makarov, un richissime homme d’affaires russe, actif dans les secteurs gazier et pétrolier, et qui siège depuis des années au comité exécutif de l’Union cycliste internationale (UCI). Il y exerce une influence décisive sur les tenants et aboutissants du monde des courses. Makarov est connu pour être proche du Kremlin et un intime de Vladimir Poutine. Alors que d’autres fédérations sportives ont mis sur la touche les patrons russes après l’invasion de l’Ukraine, Makarov est toujours membre du comité directeur de l’UCI jusqu’à nouvel ordre. L’explication : l’UCI doit beaucoup à cet oligarque russe. Le Français David Lappartient, le principal dirigeant de l’UCI, ne peut pas non plus lui tenir tête… car il lui doit son élection en 2017 et sa réélection en 2021.

Makarov a été le faiseur de roi des courses cyclistes pendant des années. Son approche : jeter énormément d’argent pour gagner de l’influence au sein de l’UCI et utiliser cette influence, avec l’aide des fédérations nationales de cyclisme des États d’Europe de l’Est et de l’ex-Union soviétique, pour orienter l’élection des présidents de l’UCI afin de déterminer ensuite la politique de la fédération internationale de cyclisme.

Sponsoring multiplié par 5

Il y a une bonne décennie, Makarov a été élu à l’Union cycliste européenne (UEC). En 2013, il a accédé au comité de direction de l’UCI après lui avoir versé un million de dollars de sponsoring. La même année, il a joué un rôle déterminant dans l’élection du Britannique, Brian Cookson, à la présidence de l’UCI, battant à la surprise générale son prédécesseur, l’Irlandais Pat McQuaid. Makarov a également guidé Lappartient vers les sommets des fédérations européennes et mondiales de cyclisme. Cela se fait invariablement avec les votes des fédérations de cyclisme de l’ancien bloc de l’Est. Après avoir gagné sa bataille, Makarov a multiplié par cinq son sponsoring de l’UCI.

Ces dernières années, il a utilisé de sa position dominante pour organiser des événements cyclistes dans des pays aux régimes autocratiques douteux et pour y conclure des accords intéressants. Ainsi, l’intention était d’organiser les Championnats du monde de cyclisme sur piste de 2021 dans la ville d’Asie centrale d’Ashgabat, la capitale du Turkménistan. Il s’agissait de polir l’image du dictateur local Gurbanguly Berdimuhamedov. Le pays est connu comme l’une des dictatures les plus fermées du monde : les droits de l’homme y sont régulièrement bafoués et pendant la pandémie du covid, les personnes qui parlaient du virus étaient sanctionnées. Mais tout cela ne représente pas un problème pour l’UCI…

Les championnats du monde de cyclisme sur piste auraient dû se dérouler dans une sorte de village olympique, construit par Areti, la société de Makarov. Une option a même été prise il y a quelques années pour organiser les Championnats du monde de cyclisme sur route à Achgabat en 2026. Lappartient a déclaré en 2019 que “le Turkménistan dispose de toutes les infrastructures nécessaires pour accueillir une Coupe du monde”. Gurbanguly Berdimuhamedov a reçu une médaille de l’UCI. Cela a provoqué des tensions en interne. Des cadres ont déclaré, sous couvert d’anonymat, au journal sportif français l’Equipe qu’ils n’étaient pas satisfaits de la manière dont les choses se déroulaient.

Riche grâce aux privatisations

Le lien entre Makarov et le Turkménistan n’est pas accidentel. Le Russe est né, en 1962, dans cette république d’Asie centrale, qui faisait alors encore partie de l’Union soviétique, et il a été cycliste dans sa jeunesse, sans grand succès d’ailleurs. Il s’en sort mieux en tant qu’homme d’affaires. Makarov s’est enrichi après la privatisation du secteur gazier turkmène et quand sa société Itera International Group (rebaptisée Areti en 2015) est devenue le principal exportateur de gaz vers l’Ukraine. Pendant longtemps, l’entreprise publique Gazprom a été l’un de ses actionnaires. Via Makarov, Gazprom est devenu le sponsor d’une équipe cycliste.

Makarov a été pendant longtemps un des “papas gâteaux” du cyclisme avec son équipe Team Katusha. Le succès n’ayant pas été total, Makarov a remplacé la licence russe de l’équipe par une licence suisse en 2016. Quelques années plus tard, l’équipe disparaissait. Pendant ce temps, le Russe a mis toute son énergie dans l’UCI.

Les actifs de l’oligarque sont estimés à 2 milliards de dollars. Son nom apparaît dans les Pandora Papers. Il aurait parqué ses actifs dans les îles Vierges britanniques. Mais tout ceci n’a jamais été une raison de remettre en question sa position à la tête de l’UCI.

Correspond au modèle d’entreprise

Après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, l’UCI a arrêté toutes les courses cyclistes en Russie et au Belarus et les équipes cyclistes russes ont été suspendues. Mais Makarov lui-même n’a pas été affecté. Cependant, il a dû sentir le souffle de la déflagration. Si jusqu’au début du mois de mars, le site web d’Areti indiquait que la société de gaz et de pétrole était active en Russie, et que Makarov était président honoraire de la Fédération russe de cyclisme, cette référence a depuis été supprimée.

Le président de l’UCI, M. Lappartient, ne semble pas être prêt à écarter M. Makarov de sitôt. Pas seulement parce que le Français lui doit son poste. Makarov correspond aussi parfaitement au modèle économique de l’UCI. Le rapport annuel montre qu’un quart des revenus – 11 millions de francs suisses sur un chiffre d’affaires de 40,7 millions de francs suisses – de la fédération de cyclisme dont le siège est à Aigle, en Suisse, provient des activités liées à l’organisation des championnats du monde dans les différentes disciplines du cyclisme (cyclisme sur route, épreuves sur piste, cyclocross, mountain bike, BMX, etc.) Il est bien connu que les villes ou les pays organisateurs doivent payer beaucoup d’argent. L’année dernière, les championnats du monde de cyclisme, en Flandre, ont coûté 20 millions d’euros. Le gouvernement flamand a avancé 13 millions, les villes organisatrices le reste. Les villes ou les régions sont convaincues car elles y voient une forme de marketing. Mais les revenus à court terme sont pour l’UCI, qui peut compter sur la totalité des droits de marketing et de télévision. Un système qui fait parfois hésiter les villes du monde occidental à organiser de tels événements sportifs.

Jaloux d’ASO

Il en va différemment dans les régimes autoritaires. Grâce à leurs relations, des personnalités telles que Makarov peuvent brandir des millions d’euros ou de dollars auprès de dictatures qui souhaitent améliorer leur réputation en organisant un tel événement. Elle ne se limite pas aux championnats. De 2011 à 2014, l’UCI, en collaboration avec le conseil municipal de Pékin, a organisé une course cycliste en Chine qui a été immédiatement ajoutée au calendrier du World Tour. Le World Tour est la liste des courses les plus prestigieuses, comprenant des courses telles que le Tour de France et le Tour des Flandres. Makarov avait même tenté d’organiser un Tour de Russie en 2013 à la demande de Vladimir Poutine. Mais cela n’a pas fonctionné, au grand regret de l’UCI, qui a ainsi perdu une redevance annuelle de 5,5 millions d’euros de la part de Moscou.

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