La crise grecque, à laquelle les pays membres de la zone euro espèrent avoir mis un terme en avalisant à un mécanisme d’aide financière, laissera des séquelles. Les pessimistes ne manquent pas d’arguments…
1. La Grèce n’est pas encore sauvée
Bonne nouvelle : l’accord européen et le geste de la BCE, qui a offert aux banques grecques une bouffée d’oxygène en prolongeant au-delà de 2010 l’assouplissement des critères imposés pour se refinancer, ont entraîné une baisse des taux d’intérêt auxquels la Grèce doit emprunter sur le marché obligataire. Cependant, l’aide européenne n’interviendra qu’en “dernier recours” et sera soumise à l’approbation de tous les Etats membres de la zone euro. L’Allemagne se réserve donc de facto encore un droit de veto. Et sur le plan économique, la Grèce n’est pas sortie d’affaires. Le plan d’austérité mis en place par le gouvernement grec sous la pression de Bruxelles risque de maintenir durablement le pays en récession. “Les perspectives économiques de la Grèce restent négatives”, confie aux Echos Moritz Kraemer, responsable de la notation chez Standard and Poor’s.
2. Le spectre de la contagion n’est pas écarté
Les craintes d’une contagion des difficultés de la Grèce aux économies les plus fragiles de la zone euro restent fortes. La dégradation cette semaine de la note du Portugal, le vrai maillon faible de l’Europe, affole encore les marchés. En théorie, le dispositif d’aide européen pourrait être utilisé par tous les pays de la zone euro. Mais si par effet de domino la pression des marchés se porte sur la dette de l’Espagne, durement frappée par la crise économique, voire sur les dettes italienne et française, les coûts seraient considérablement plus élevés.
3. L’euro durablement affaibli
L’accord européen sur la Grèce a redonné des couleurs à l’euro, victime d’attaques spéculatives au cours des derniers mois. La monnaie unique européenne valait 1,3387 dollar vendredi soir en début d’après midi, après être passée jeudi sous le seuil de 1,33 dollar pour la première fois près d’un an. L’accord a donc peut être calmé les pressions à court terme sur l’euro, mais des incertitudes demeurent. Le test crucial à moyen terme pour la monnaie euro sera la réussite ou non de la prochaine émission d’obligations de la Grèce. A plus long terme, l’euro devrait continuer de s’affaiblir face au dollar, estime Axel Botte, analyste chez Axa IM, car la reprise s’annonce plus vigoureuse aux Etats-Unis qu’en Europe. Les cambistes anticipent en outre que la Fed va relever ses taux directeurs avant la BCE.
4. La solidarité européenne mise à mal
La pression des marchés financiers sur la dette grecque date… d’octobre 2009. Celle sur l’euro du début 2010. Il aura donc fallu des mois d’âpres discussions pour que les pays de la zone euro parviennent à s’entendre sur un accord. L’épisode grec a été marqué par de fortes dissensions entre les membres de la famille européenne, mettant en doute sa solidarité. L’Allemagne a été la plus réticente à payer pour les dérives budgétaires de la Grèce. Aujourd’hui encore des critiques émanent sur le choix de recourir au FMI pour aider la Grèce, notamment de la part de Jean-Claude Trichet. Le président de la BCE juge “très très mauvais” que les pays de la zone euro se défaussent de leurs responsabilités.
5. L’Allemagne a imposé sa force
“L’Europe, c’est le compromis”, a déclaré magnagnime Nicolas Sarkozy jeudi. Mais personne ne s’y trompe : Angela Merkel a pu largement imposer ses vues à la France et au reste de l’Europe sur le plan à la Grèce. En échange de son feu vert jeudi à des prêts de la zone euro auxquels elle se refusait jusque-là, la chancelière allemande a arraché à ses partenaires le principe d’une intervention du FMI et un engagement à durcir la discipline budgétaire. Mais attention : sa fermeté au nom des sacrifices consentis par les contribuables allemands a été sévèrement critiquée, en particulier dans son pays. “Victoire amère de la chancelière” pour le Handelsblatt et “Diktat de Merkel” pour le Financial Times Deutschland (FTD) : la presse allemande, pourtant peu tendre avec la Grèce, comparait vendredi la chancelière à l’ancien Premier ministre britannique Margaret Thatcher, alias la “Dame de Fer”.
6. La BCE remerciée, mais pas écoutée
Avant que les dirigeants européens ne s’entendent, c’est la Banque centrale européenne qui a fait un geste en faveur de la Grèce. Son président Jean-Claude Trichet a annoncé devant le Parlement européen le prolongement au delà de 2010 des critères assouplis pour prêter des liquidités aux banques. Une vraie bouffée d’oxygène pour les banques grecques. Jean-Claude Trichet nous a offert “un cadeau en or”, écrit vendredi 26 mars le quotidien grec de centre gauche Ta Néa. Le Français apparaît aujourd’hui comme le plus fervent défenseur de la zone euro. Alors que le débat sur une aide européenne à la Grèce battait encore son plein, il a rappelé aux Etats membres qu’ils partagent “un destin commun”. En revanche, ses critiques contre le recours au FMI, source d’affaiblissement de la zone euro, n’ont pas été entendues.
7. Le Pacte de stabilité critiqué
Le Pacte de stabilité européen limite en principe le déficit public de chaque pays à 3% du PIB et sa dette publique à 60% du PIB. Ses insuffisances avaient déjà été mises en évidence ces dernières années: de nombreux pays n’ont pas respecté ses objectifs, sans être sanctionnés. Aujourd’hui le Pacte a carrément volé en éclats car les déficits ont explosé avec la crise. Actuellement 20 pays de l’UE sur 27 – 13 pays de la zone euro sur 16 – sont sous le coup d’une procédure pour déficits excessifs. La France en fait partie. C’est pourquoi l’Allemagne veut durcir le volet répressif du Pacte. En cette période de récession généralisée de l’économie européenne, pas sûr cependant que pénaliser l’endettement des Etats, seul soutien de la reprise, soit productif. Pour Michel Aglietta, professeur d’économie à Paris X Nanterre et conseiller au CEPII, il faut changer les critères du Pacte : le seuil de 60% du PIB pour le déficit budgétaire a été édifié dans une période où le potentiel de croissance de l’Europe tournait autour de 3%, explique-t-il. Aujourd’hui, ce potentiel atteint difficilement 1,5%. “Il faut se poser la question d’une dette soutenable pour la croissance” qui, selon lui, serait plutôt à 80%, voire 100% du PIB.
8. Une gouvernance économique à trouver
C’est sans doute la principale leçon de cette crise grecque : une union monétaire sans mécanisme de coopération budgétaire ne peut survivre à un choc économique. C’est pourquoi la France défend bec et ongles l’idée d’un “gouvernement économique” européen. Dans le document d’aide à la Grèce adopté jeudi, les Etats membres de la zone euro s’engagent à promouvoir “une forte coordination des politiques économiques en Europe”. Mais la réalité s’avère plus complexe. Plusieurs pays – Grande-Bretagne, Irlande, Pays-Bas notamment – rejettent cette idée d’un gouvernement économique. L’Allemagne reste prudente. Pour Michel Aglietta, si les pays européens “ont fait le service minimum” pour la Grèce, “ils n’ont pas pris la mesure de l’enjeu de la coopération des politiques budgétaires”. Et de conclure: “La crise grecque a mis en lumière que l’union monétaire était inachevée”.
Emilie Lévêque
Trends.be, L’Expansion.com