Haro sur les auteurs de théories économiques !

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La crise a révélé la faiblesse du principal modèle économique en vogue dans les milieux académiques. Les universitaires devront revoir leur copie.

La chasse au coupable lancée après la quasi-destruction de l’économie mondiale a oublié d’éventuels suspects : les universitaires. Le rôle de la théorie dans le déclenchement des crises économiques a été résumé en une phrase par John Maynard Keynes, en 1936 : “Les hommes d’action qui se croient parfaitement affranchis des influences doctrinales sont d’ordinaire les esclaves de quelques économistes dépassés. Les illuminés au pouvoir qui se prétendent inspirés par des voies célestes distillent en fait des utopies nées quelques années plus tôt dans le cerveau de quelque écrivailleur de faculté.” (Extrait de : Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, éditions Payot.)

La théorie dite des anticipations rationnelles a commencé à gagner en popularité dans les milieux académiques au début des années 1980. Cet engouement s’explique par la simplicité des calculs à l’origine de ce modèle et par l’attraction exercée par l’idéologie dominante de l’ère Thatcher-Reagan. La méthodologie des anticipations rationnelles permettait de “prouver” avec apparemment une certitude mathématique que les banques solvables ne seraient jamais confrontées à un manque brutal de liquidités ; qu’il est inefficace de renforcer les normes pour exiger des banques qu’elles conservent des fonds propres prudentiels ; que les investisseurs savent identifier ce qui est dans leur intérêt collectif ; et que “les marchés ont toujours raison. Les théoriciens des anticipations rationnelles ont progressivement acquis une situation de quasi-monopole intellectuel.

Une réforme s’impose

L’orthodoxie économique s’est avérée particulièrement dangereuse dans le domaine de la finance. Elle avait notamment permis à des lauréats du Nobel de prévoir sur la base de savants calculs qu’une crise comparable à celle déclenchée par la faillite de Lehman Brothers en septembre 2008 n’avait aucune chance de se produire, même une seule fois en un milliard d’années.

Son impact sur la politique macroéconomique a été tout aussi pernicieux. Les anticipations rationnelles partaient du principe que non seulement le marché pouvait s’autoréguler, mais que la volonté des pouvoirs publics de stabiliser la demande au moyen de politiques monétaires et budgétaires était vouée à l’échec et n’avait pour seule conséquence que de générer de l’inflation.

Ces arguments théoriques sur l’inefficience des politiques monétaires et budgétaires ont continué à dominer le débat public sur les mesures de relance à adopter après la crise. Les gouvernements et les banques centrales n’en ont pourtant pas tenu compte ; ils sont revenus à une gestion de la demande correspondant exactement à ce que, d’après la théorie économique, il était prétendument impossible de faire – et ils sont dans l’ensemble parvenus au résultat souhaité : éviter la récession. Bref, l’expérience des lendemains de crise a totalement réfuté les prédictions du modèle macroéconomique fondé sur la théorie des anticipations rationnelles.

Heureusement, des changements se préparent. En 2010, plusieurs économistes, dont cinq nobélisés, se sont réunis avec des responsables venus de diverses banques centrales et d’institutions internationales pour créer l’Institut pour une nouvelle pensée économique (INET). Il aura notamment pour mission de financer des recherches universitaires étudiant autre chose que la théorie des anticipations rationnelles. Il soutient des travaux qui portent sur des sujets aussi variés que la théorie des réseaux, les mathématiques de l’incertitude radicale ou une étude psychanalytique des opérateurs de marchés.

Comme tout monopole, l’élite des sciences économiques fera tout son possible pour éliminer la concurrence. La théorie économique doit pourtant se réformer rapidement, ou ce sera la discipline dans son ensemble qu’il faudra enterrer.

Anatole Kaletsky, auteur de Capitalism 4.0 : The Birth of a New Economy

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