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“Gilets jaunes”: le cauchemar de Hobbes

La semaine dernière, la couverture de The Economist titrait “Le cauchemar de Macron”. Il faut bien avouer que le président français traverse une période difficile, pour ne pas dire qu’il est dans l’impasse. Les frustrations qui s’expriment de manière grandissante et de plus en plus violente en France ne sont pas limitées à ce pays. Bien que le mouvement de contestation me paraît assez différent en Belgique francophone, il existe bel et bien.

Le même genre de frustrations a porté au pouvoir, en mars dernier, une coalition inédite de partis populistes en Italie. Il semble donc que dans un certain nombre de pays, un lien se soit brisé, tant sur des questions de pouvoir d’achat, de transition écologique ou de migrations.

Dans son livre ” Léviathan “, publié en 1651, le philosophe Thomas Hobbes s’intéressait à la condition humaine, au rôle de l’Etat. Son point de vue était le suivant : à la base (il parlait d’état de nature), l’homme est violent et ses désirs de possession le poussent à s’accaparer, éventuel-lement par la violence, les biens qu’il ne possède pas. Il ne peut en résulter que le chaos. La peur de cette violence générale le pousse néanmoins à laisser tomber une partie de ses libertés individuelles au profit d’une autorité qui, en échange, lui garantit la sécurité. Il appellait cela le contrat social.

En extrapolant le concept de Hobbes, c’est une question fondamentale de la science économique qui est posée. Comment se fait-il que, malgré des préférences, des envies et des ambitions très différentes, un ensemble d’individus qui n’ont a priori aucune raison de cohabiter arrivent à vivre ensemble, à respecter les règles de leurs autorités et les conventions qui ont émergé entre eux au fil du temps ? Car c’est bien le fondement de l’économie : nous avons des besoins au caractère illimité mais les ressources sont limitées. On ne peut donc vivre ensemble qu’en acceptant de mettre, chacun, un peu d’eau dans son vin.

A-t-on vraiment encore envie de vivre ensemble ? Les gens de gauche acceptent-il encore les gens de droite et vice versa ? Les adeptes de la décroissance acceptent-ils encore les promoteurs d’une transition écologique douce et vice versa ?

Pour répondre à cette question, on le sait, la main invisible d’Adam Smith ne suffit pas. Une sorte de contrat social s’ajoute aux forces de marchés pour qu’au final, nous acceptions de vivre ensemble. Le maintien de ce contrat implicite entre les individus est d’ailleurs au centre de la dynamique politique, du moins des partis traditionnels. Lorsqu’un courant politique remporte les élections, il tourne les curseurs socio-économiques dans son sens, mais il est de tradition qu’il n’exclue pas totalement ceux qui n’avaient pas voté dans son sens. Cela entraînerait de facto la fin de l’adhésion de ces derniers au contrat social. Tourner le curseur dans le sens souhaité tout en maintenant l’adhésion au contrat social de l’ensemble de la population est d’ailleurs la difficulté que rencontrent les partis radicaux dans l’exercice du pouvoir.

Evidemment, un scénario dans lequel de plus en plus d’individus n’acceptent plus de vivre avec ceux qui n’ont pas les mêmes envies et les mêmes idéaux qu’eux, et de ce fait rompent le contrat social qui nous unit, serait cauchemardesque. Si l’on s’en tient à certaines images ou à certains débats télévisés récents, ou à l’image du monde que reflètent les réseaux sociaux, on est pourtant en droit de se demander si ce scénario ne devient pas réalité. A-t-on vraiment encore envie de vivre ensemble ? Les gens de gauche acceptent-il encore les gens de droite et vice versa ? Les adeptes de la décroissance acceptent-ils encore les promoteurs d’une transition écologique douce et vice versa ? Les vegans acceptent-ils encore les amateurs de viande maturée ? Le contrat social qui nous unit, et qui nous fait accepter des comportements très différents, des taxes et des services publics trop ou trop peu présents à notre goût, est-il en danger ?

Si oui, est-ce simplement parce que les curseurs auraient trop été tournés dans un sens ? Est-ce la faute des réseaux sociaux et des fake news, qui donnent du crédit aux thèses les plus absurdes et qui empêchent toute objectivation du débat ? Mais surtout, pourquoi cette menace est-elle ciblée sur certains pays, alors que d’autres, juste à côté, continuent de présenter une belle harmonie. Pourtant, dans ces autres pays, il y a probablement autant de différences d’idéaux et d’aspirations que dans ceux dans lesquels les frustrations explosent. Je vous avoue ne pas avoir de réponse à ces questions, pourtant fondamentales pour le futur de nos économies.

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