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Fraude fiscale: faut-il coopérer avec les dictateurs ?

Une organisation britannique, très active dans la lutte contre la fraude fiscale et qui affirme défendre la ” justice fiscale “, a récemment fait publier une étude, dont il ressort que les deux pays qui se comportent encore les plus comme des paradis fiscaux en matière d’échange d’informations fiscales, sont, dans l’ordre, la Suisse et les Etats-Unis.

La deuxième place des Etats-Unis n’a rien de surprenant, et n’est pas à imputer à la politique de Donald Trump. Celui-ci n’est arrivé au pouvoir qu’il y a un an, et l’attitude des Etats-Unis dans ce domaine a été déterminée essentiellement par son prédécesseur, Barack Obama. Celui-ci a contribué dans une très large mesure, au cours de ses deux mandats, au développement systématique, sur le plan mondial, de l’échange automatique d’informations à propos des comptes bancaires des particuliers. Ce combat ne visait toutefois pas seulement une meilleure connaissance par les administrations fiscales des capitaux et des revenus de leurs résidents. Il s’agissait aussi de renforcer la place des Etats-Unis dans la gestion des fortunes, et ce projet a pleinement réussi.

Les Etats-Unis ont en effet obtenu de tous les autres pays qu’ils fassent appliquer la loi américaine dite FATCA, qui oblige la quasi-totalité des banques du monde à faire remplir par leurs clients un formulaire contenant des informations qui sont ensuite transmises au fisc américain. En revanche, les banques américaines ne transmettent pas d’informations systématiques aux administrations fiscales étrangères à propos de leurs clients étrangers. Le résultat est que des capitaux importants, qui étaient placés en Suisse, au Luxembourg ou sur d’autres places financières, sont actuellement aux Etats-Unis, sans que les administrations fiscales des bénéficiaires de ces comptes soient au courant.

L’organisation en question reproche par ailleurs à la Suisse sa politique sélective en matière d’échange d’informations. La Suisse a pris des engagements extrêmement précis et complets à l’égard de la quasi-totalité des pays industrialisés d’Amérique du Nord et d’Europe. On sait que les informations sur les comptes suisses des résidents de ces pays, y compris bien sûr les Belges, seront transmises sans défaut aux administrations fiscales pour leur permettre de contrôler les revenus déclarés. Et on peut compter sur l’efficacité de l’administration suisse pour que les informations soient complètes et précises. En revanche, la Suisse rechigne souvent à conclure des accords avec des pays en voie de développement et/ou des pays émergents. Ce qui amène certains à s’offusquer parce qu’elle permettrait ainsi la fraude des résidents de ces pays, alors que, dit-on, il s’agirait de ceux qui ont le plus besoin de recettes fiscales.

Certains Etats sont tellement nuisibles qu’il est sans doute préférable de les priver de recettes que de les aider à prélever des impôts.

Ce raisonnement est dangereux parce qu’il repose sur l’idée que, quel que soit le régime en place, il vaut mieux aider le gouvernement de ces pays à mieux taxer, que de laisser des particuliers ou des sociétés s’abstenir de payer les impôts dus. Cette conception très étatiste des choses ne fait aucune distinction entre les Etats, alors que la conception suisse considère que certains Etats ne méritent pas d’être aidés.

On ne contestera pas que des pays en voie de développement ont besoin d’argent, mais il faut assurément faire une distinction entre le ” pays ” et ” l’Etat “. Malheureusement, ces pays, comme par exemple le Vénézuela ou le Zimbabwe, cumulent les malheurs : il s’agit à la fois de pays très pauvres et soumis à un pouvoir dictatorial, au point que pour certains d’entre eux, dont les deux exemples cités, il faut d’ailleurs se demander s’il n’y a pas un lien de causalité entre leur régime politique et leur manifeste pauvreté.

Il paraît dès lors légitime de considérer qu’il n’est pas opportun du tout de fournir des informations fiscales à ces Etats, qui ne ferait que renforcer des régimes dictatoriaux. C’est ce qui montre la faiblesse de la conception étatiste qui fait toujours préférer l’intérêt de l’Etat à celui des citoyens : certains Etats sont tellement nuisibles qu’il est sans doute préférable de les priver de recettes que de les aider à prélever des impôts pour mener à bien des politiques à la fois incompatibles avec les droits de l’homme et destructrices des maigres richesses de leurs habitants. D’une manière plus large, c’est d’ailleurs tout le problème de la coopération internationale qui se pose, notamment en matière fiscale. Faut-il vraiment que les Etats s’entraident, au détriment de leurs citoyens, lorsque des valeurs essentielles sont compromises ? Que fera-t-on le jour où un Etat européen aura transmis des informations d’ordre fiscal à une quelconque dictature qui en profitera pour faire condamner et fusiller un opposant, opportunément accusé de fraude fiscale plutôt que de délit politique ? z

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