Rudy Aernoudt
Fit for 55 ou “fit for industry”?
Le plan de l’Union a pour but de faire de l’Europe un havre pour l’industrie, numérique, dynamique, verte. Mais l’exercice d’équilibre est périlleux.
L’Europe entend devenir le premier continent au bilan carbone neutre. Cet objectif ambitieux fixé pour 2050 sous-tend la réduction des émissions de CO2 de 55% d’ici à 2030 par rapport à 1990. Il est clairement défini dans le plan d’action baptisé Fit for 55. Mais est-il compatible avec l’attachement de l’Union à son industrie?
De 2000 à 2010, pas moins de 40% des entreprises de 50 travailleurs et plus ont complètement ou partiellement quitté l’Europe pour délocaliser dans les pays à bas salaires. Elles l’ont fait aussi pour des raisons d’ordre logistique, de “réglementite aiguë” sur le plan environnemental et de syndicats omnipotents. Résultat de cet exode massif: l’industrie représente moins de 20% du produit intérieur brut de l’Union. Cette moyenne cache de fortes disparités. En Belgique et en France, par exemple, l’industrie ne pèse plus que 15% du PIB. A l’autre extrémité du spectre, dans un pays comme l’Allemagne, elle en représente encore 25%.
Le plan de l’Union a pour but de faire de l’Europe un havre pour l’industrie, numérique, dynamique, verte. Mais l’exercice d’équilibre est périlleux.
L’exode s’est interrompu lors de la précédente décennie, du fait notamment de l’augmentation des salaires en Chine et de l’explosion spectaculaire des coûts logistiques. Reste à voir si les ambitieux objectifs climatiques de l’Europe ne risquent pas de le relancer ou si, au contraire, ils constituent une opportunité pour les entreprises.
Le système européen proposé est en effet plutôt original. On le sait, les industries se voient attribuer des quotas. Celles qui polluent plus doivent racheter des droits tandis que celles qui polluent moins peuvent les revendre. Le tout avec des plafonds qui sont réduits progressivement chaque année afin de faire baisser le niveau total des émissions. Autrement dit, le même niveau d’émissions coûte de plus en plus cher aux entreprises dépassant leurs quotas et réduit les droits de vente pour celles en-deçà. Qui plus est, ce système cap & trade actuellement d’application aux secteurs de l’énergie, de la chimie et de l’acier, est élargi à d’autres comme les transports, la construction, l’agriculture et la petite industrie. Et comme pour certaines actions, il existe une Market Stability Reserve (MSR) censée niveler la volatilité du marché.
Cette approche ne peut-elle pas se solder par un handicap en termes de compétitivité pour les entreprises européennes? Celles produisant hors Europe ne sont en effet pas assujetties aux mêmes droits d’émissions et exercent de ce fait une concurrence déloyale. Les entreprises européennes pourraient même envisager de fonctionner offshore pour échapper au système et écouler leurs marchandises sur le Vieux Continent à partir de leur site de production à l’étranger…
Voilà pourquoi ce système cap & trade a été complété par un autre visant à contrecarrer ce défaussement de la concurrence, à savoir le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (Carbon Border Adjustment Mechanism ou C-BAM). Il s’agit d’une taxe sur l’importation de produits à fortes émissions, censée neutraliser le handicap potentiel des entreprises européennes. Le mécanisme doit également permettre d’éviter les fuites de carbone (Carbon Leakage), au cas où une entreprise européenne déciderait de déplacer sa production en dehors du continent pour échapper aux droits d’émissions.
Cette philosophie a pour but de faire de l’Europe un havre pour l’industrie, numérique, dynamique, verte. Le fonds de relance de 750 milliards d’euros, alimenté notamment par des obligations vertes, devrait lui donner un sérieux coup de pouce, ainsi que le fonds climatique de 72 milliards d’euros, soutenu par les droits d’émissions. Mais l’exercice d’équilibre reste malgré tout périlleux.
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