Fin temporaire des jachères en Europe pour compenser les perturbations de l’offre céréalière

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Une terre sans cultures mais pas au repos: la jachère, historiquement une méthode pour régénérer les sols devenue un atout majeur de la biodiversité, est désormais utilisée en Europe pour amortir le choc du conflit ukrainien sur les marchés agricoles.

La Commission européenne a annoncé mercredi une dérogation “temporaire” pour l’année 2022 à ses règles sur les terres en jachères, y autorisant “toute culture destinée à l’alimentation humaine et animale”, un potentiel de 4 millions d’hectares supplémentaires.

Objectif: “produire davantage” pour compenser les perturbations de l’offre céréalière d’Ukraine et de Russie, deux exportateurs majeurs de céréales qui représentent à eux seuls 30% de l’offre mondiale de blé.

Actuellement, les exploitations européennes dépassant les 15 hectares doivent compter au moins 5% de “surfaces d’intérêt écologique” (prairies, haies, mares, jachères). L’exigence sera d’au moins 4% de jachères dans la nouvelle Politique agricole commune (PAC), à partir de janvier 2023, pour renforcer la biodiversité.

Outil agronomique

Contrairement aux idées reçues, une jachère n’est pas une terre “abandonnée”, laissée en friche: historiquement, c’est une terre travaillée pendant l’été, afin de préparer le terrain pour les semis d’automne.

Comme l’explique “La troublante histoire de la jachère”, un ouvrage publié en 2008 aux Editions Quae/Educagri, il s’agit d'”une terre qui reçoit une suite de labours et autres travaux, dont la fonction première était de détruire les mauvaises herbes avant de semer du blé”.

Ce labeur paysan a donné son nom à la pratique: “jachère” vient du gaulois “gansko” ou “branche et charrue” – et non du latin “jacere” ou “être couché” – d’où l’idée trompeuse du repos de la terre -, expliquent les agronomes auteurs de cet ouvrage.

Variations sur un même thème

La jachère a changé de définition et d’usage au fil des époques.

La pratique de la jachère s’est développée au Moyen-Age dans une Europe qui voyait grossir sa population, mais ne pouvait indéfiniment étendre les surfaces de culture après avoir énormément déboisé, explique Christian Huygues, directeur scientifique Agriculture à l’institut de recherche Inrae.

“On a alors cherché à augmenter la ressource alimentaire disponible en augmentant les rendements”: dans le cadre d’une rotation (assolement), une partie des terres labourables était laissée sans culture et ouverte à la pâture des ruminants, ce qui permettait de reconstituer la fertilité des sols.

Les usages changent après la Révolution française: “on découvre que l’azote des plantes permet de nourrir le sol” et les jachères vont servir à produire du foin, du trèfle violet ou de la luzerne, une pratique “favorisée par l’armée qui emportait du fourrage pour ses campagnes”, raconte le chercheur.

Avec l’apparition de désherbants et l’introduction d’engrais chimiques – l’ammonitrate, inventé en 1909, servira comme explosif avant de trouver une vocation agricole -, la jachère est peu à peu abandonnée au profit de prairies artificielles et de cultures fourragères.

La jachère reparaît en 1992 dans le cadre de la PAC comme “un outil de lutte contre la surproduction”: les agriculteurs doivent geler une partie de leurs terres en échange d’une rémunération. Cette obligation sera levée en 2008, mais la jachère a alors trouvé un nouvel usage: les services environnementaux (reconstitution des réserves en eau et de la fertilité des sols, refuges de biodiversité…).

Mobilier les jachères européennes, pour quoi faire?

“On peut remettre en culture une jachère du jour au lendemain, car le couvert (de plantes intermédiaires) protège et enrichit le sol”, explique M. Huygues.

Toutefois, il n’y aura pas de blé cette année – il est planté à l’automne – mais il sera possible, “si les stocks de semences sont suffisants” – d’y faire du tournesol et du maïs – des cultures essentiellement destinées au sein de l’UE à la fabrication d’agrocarburant pour l’huile de tournesol et à l’alimentation animale pour la céréale.

Sébastien Méry, un céréalier français qui cultive 200 hectares (blé, maïs, orge et colza) dans le Loiret, se réjouit de pouvoir remettre en culture une partie de ses 9 hectares de jachères “d’une qualité assez médiocre”. Il veut “sanctuariser” certaines zones de bandes fleuries et planter ailleurs du tournesol.

Pour plusieurs chercheurs contactés par l’AFP, les cours très élevés incitent les agriculteurs à planter, mais la production “marginale” issue des jachères européennes n’est qu’un “confetti” à l’échelle planétaire, qui ne sera pas en mesure de compenser le défaut ukrainien sur le marché.

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