Face à Poutine, l’Allemagne se résout à suspendre Nord Stream 2
L’Allemagne a fini par céder mardi en suspendant le gazoduc Nord Stream II suite à la reconnaissance par Moscou de provinces ukrainiennes pro-russes, un projet phare pour Berlin comme pour Vladimir Poutine et mené malgré les critiques.
Le coup d’arrêt, peut-être définitif, à ce chantier pharaonique a été donné par le chancelier allemand lui-même. Olaf Scholz a annoncé la suspension de la certification du gazoduc, indispensable à “sa mise en service”. Le projet va faire l’objet d’une “réévaluation” politique par le ministère de l’Economie en raison de la “situation géopolitique” nouvelle suite à la reconnaissance par Moscou de provinces ukrainiennes pro-russes.
Le gazoduc, dont la construction est achevée depuis l’automne dernier, n’était de toutes façons pas en service en raison d’un blocage juridique de la part du régulateur énergétique allemand: il ne respecte pas encore la législation européenne et allemande du secteur. Mais la décision annoncée mardi va plus loin. Le gouvernement allemand a retiré un avis “politique” favorable qu’il avait émis jusqu’ici concernant le gazoduc et concluant à l’absence de risque de “sécurité” nationale représenté par le projet. Ce point va être réexaminé.
“Nord Stream II n’est plus tabou” en Allemagne, résume le quotidien Handelsblatt.
– “Grave erreur” –
Nord Stream 2 est décidément un projet maudit, au coeur de batailles géopolitique et économique depuis sa conception. Durant plusieurs années, le projet a opposé les Etats-Unis et l’Allemagne, principal promoteur du projet, mais aussi les Européens entre eux, ainsi que la Russie et l’Ukraine.
Nord Stream 2 relie la Russie à l’Allemagne via un tube de 1.230 kilomètres sous la mer Baltique d’une capacité de 55 milliards de m3 de gaz par an, sur le même parcours que son jumeau Nord Stream 1, opérationnel depuis 2012. Contournant l’Ukraine, le tracé est censé augmenter les possibilités de livraison de gaz russe à l’Europe à un moment où la production au sein de l’Union européenne diminue. Promu par le géant russe Gazprom, le projet, estimé à plus de 10 milliards d’euros, a été cofinancé par cinq groupes européens du secteur de l’énergie (OMV, Engie, Wintershall Dea, Uniper et Shell).
L’Allemagne est au sein de l’UE le principal promoteur du gazoduc, qui, selon elle, l’aidera à accomplir la transition énergétique dans laquelle elle s’est engagée. Tout en faisant de son territoire un hub gazier européen.
Mais les opposants au projet ont été nombreux.
L’Ukraine au premier chef craignait de perdre les revenus qu’elle tire du transit du gaz russe et d’être plus vulnérable vis-à-vis de Moscou. Le président Vlodymyr Zelensky a réitéré mardi matin son appel à un arrêt “immédiat” du projet. Son chef de la diplomatie s’est félicité de la suspension, “politiquement et moralement justifiée”.
Les Etats-Unis sont, eux, depuis le début vent debout contre un aménagement qui risquait d’affaiblir économiquement et stratégiquement l’Ukraine, d’augmenter la dépendance de l’UE au gaz russe et de dissuader les Européens d’acheter le gaz de schiste que les Américains espèrent leur vendre.
– Revirement inattendu –
Plusieurs sociétés, en raison de menaces de sanctions américaines, se sont d’ailleurs retirées du projet, notamment du côté des assureurs couvrant le chantier. Le président démocrate américain Joe Biden avait entamé son mandat sur une ligne extrêmement hostile à Nord Stream 2, dans la lignée de ses prédécesseurs.
Mais, de façon inattendue, l’administration américaine avait annoncé fin mai 2021 qu’elle renonçait à sanctionner Nord Stream 2 AG, chargée d’exploiter le gazoduc, levant un obstacle essentiel à sa mise en service. Après plusieurs semaines d’intenses négociations, les Etats-Unis, soucieux de ménager l’allié allemand, avaient annoncé à l’été 2021 un accord avec le gouvernement allemand pour clore leur dispute.
Les Européens sont, eux, divisés, la Pologne ou les pays Baltes s’inquiétant de voir l’UE plier devant les ambitions russes. Même en Allemagne, Nord Stream 2 n’a jamais fait l’unanimité: les Verts s’y sont longtemps opposés, avant de mettre de l’eau dans leur vin depuis leur entrée au gouvernement.
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