Et si l’Allemagne était prise à son propre piège?

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Lors du sommet franco-allemand de Strasbourg, Angela Merkel a obtenu que la BCE ne s’engage pas plus pour calmer la flambée des taux d’intérêt, préférant une discipline budgétaire plus forte aux Etats. Mais ce n’est pas sans risque pour l’économie allemande…

Les marchés continuent de s’inquiéter pour l’Europe. La bourse de Paris (-0,18%), Francfort (-0,54%) et Londres (-0,24%) ont une nouvelle fois clôturé dans le rouge ce jeudi soir. Les investisseurs sont déçus par le sommet franco-germano-italien qui s’est tenu à Strasbourg, et n’a pas apporté de réponse à la flambée des taux d’intérêt des Etats de la zone euro. Les taux italiens ont ainsi à nouveau dépassé les 7% en fin de journée. Lors de ce sommet, Angela Merkel et Nicolas Sarkozy ont affirmé qu’ils allaient faire “des propositions pour améliorer la gouvernance de l’euro”, en refusant toutefois d’y inclure une réforme de la Banque centrale européenne (BCE) pour l’ériger en prêteur en dernier ressort et soulager ainsi les taux. C’était le souhait du président français, mais Angela Merkel y est toujours hostile. Elle préfère imposer en priorité un contrôle des budgets par Bruxelles qui obligerait les Etats membres à rentrer rapidement dans les clous du Pacte de stabilité. Mais cette stratégie n’est pas sans risque pour l’Allemagne elle-même, comme le montrent les évènements récents.

Les taux d’intérêt à la hausse

Il ne s’agit pas encore d’un incendie, mais le coup de chaud a bien eu lieu. Les taux auxquels se finance l’Allemagne ont bondi à 2,26% ce jeudi, au plus haut depuis fin août, après l’échec d’une levée de fonds sur le marché obligataire mercredi. Sur un total de 6 milliards d’euros à dix ans, les investisseurs n’ont souhaité participer qu’à hauteur de 3,6 milliards d’euros. Ce qui en fait “la pire levée de fonds allemande depuis le lancement de l’euro”, selon le Financial Times.

Cela ne signifie pas que la dette allemande fait peur aux investisseurs. Les taux d’intérêt historiquement bas de la dette du pays depuis plusieurs semaines – en dessous des 2% – expliquent en partie cette désaffection des marchés. “Avec des taux inférieurs à 2 % pour une inflation de 2 %, le rendement réel est négatif”, note Sylvain Broyer, économiste chez Natixis sur lemonde.fr. “Les investisseurs sont du coup tentés de se tourner vers du papier plus court ou des obligations d’entreprises.”

Mais même si cet évènement ne révèle pas encore de tendance de fond, cet échec de Berlin sur les marchés pourrait aussi traduire l’inquiétude des investisseurs sur les armes dont dispose l’Europe pour sortir de la crise. “L’échec d’hier va au moins mettre l’Allemagne devant ses responsabilités. Elle va peut être se sortir des histoires qu’elle se racontait sur les soi-disant méchants pays du Sud, les seuls sous la pression des marchés car ils ont laissé filer leurs déficits. En réalité, les marchés sanctionnent un vide politique et une BCE qui ne marche pas. Pas seulement des Etats aux déficits élevés”, estime Francesco Saraceno, économiste à l’OFCE.

La sanction pourrait même s’élargir si l’Allemagne ne se montre pas plus flexible sur ses positions. “Si la crise continue, on pourrait rapidement assister à une fuite des capitaux vers les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne, là où la gestion de crise est difficile mais où elle est réglée de manière plus politique”, selon l’économiste.

Le commerce extérieur connaît des difficultés

Le second signal d’alarme tient au fait que l’Allemagne, aussi puissante soit-elle, ne peut pas prospérer sans être soutenue par les échanges avec ses partenaires. Problème: la baisse des achats de produits allemands a déjà été observée. La croissance est certes restée vigoureuse au troisième trimestre (+0,5%) mais le commerce extérieur, habituellement moteur du PIB, y a peu contribué, les importations ayant augmenté plus vite que les exportations (2,5% contre 2,6%). “Pour le mois de septembre, les commandes totales de produits allemands ont diminué de 5,4%. Le chiffre a chuté de 12,1% pour les commandes venant des pays de la zone euro”, détaille Francesco Saraceno.

Ce niveau pourrait encore se dégrader, compte tenu de la forte austérité que les Etats s’imposent, sous la pression de Bruxelles et de Berlin. Les économistes tablent d’ailleurs sur un recul du PIB allemand dès le quatrième trimestre, et Bruxelles prévoit 0,8% de croissance dans le pays en 2012 et 0,5% pour l’ensemble de la zone euro. “L’industrie allemande a finalement attrapé le virus de la crise”, décrypte Carsten Brzeski, économiste d’ING.

Ali Bekhtaoui

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