Eric Dor: “L’Europe envoie un mauvais message au monde !”

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Professeur d’économie et directeur de la recherche à l’IESEG de Lille, notre compatriote Eric Dor a examiné de près le plan de sauvetage chypriote. Il ne mâche pas ses mots.

Trends-Tendances. L’instauration d’une taxe exceptionnelle sur les dépôts est-elle possible en Belgique ?
Eric Dor. En théorie, oui. Mettre en place un tel prélèvement sur les dépôts n’a rien de bien compliqué d’un point de vue purement technique et légal. Le droit européen est suffisamment malléable et ambigu que pour essayer de plaider la cause d’un tel plan de sauvetage.

Quelle pourrait-être la charge pour les ménages belges si on devait appliquer pareil remède chez nous ?
Le prélèvement sur les dépôts des ménages résidant à Chypre serait compris entre 2 et 2,5 milliards d’euros. Cela représenterait entre 2.300 et 2.900 euros par habitant. Mais le revenu national par habitant de Chypre ne s’élève qu’à un peu plus de la moitié de celui prévalant en Belgique. Proportionnellement, c’est donc comme si l’on prélevait sur les comptes bancaires des ménages belges entre 4.400 et 5.500 euros par habitant !

Une telle mesure est-elle probable ?
Non, soyons clairs. Il faut rassurer les Belges à ce niveau-là. Il n’y a pas actuellement de banque qui soit dans une situation délicate qui laisse présager la nécessité d’un plan de sauvetage. Les restructurations ont eu lieu. Ce qui reste, c’est une exposition de l’Etat belge sur la structure résiduelle de Dexia. On sait que les garanties octroyées par les Etats belge et français font peser une hypothèque sur la tête de l’ensemble des contribuables. Le risque que ces garanties soient un jour activées existe. Il n’est pas exclu que de nouvelles recapitalisations se présentent. Mais nous ne sommes pas en Espagne. Il n’y a plus de fragilité systémique. Et Dexia n’a plus de dépôts.

Pourquoi ce plan est-il dangereux pour la zone euro ?
Parce qu’il vient saper la confiance. En prélevant une taxe sur les dépôts, et surtout en voulant l’appliquer aux dépôts assurés de moins de 100.000 euros, on relance les craintes des populations des autres pays périphériques en difficulté. Les déposants de ces pays peuvent maintenant s’attendre à ce que pareil régime leur soit appliqué en cas de sauvetage européen de leur propre système bancaire ou de leur Etat souverain. C’est particulièrement dommage de compromettre de la sorte le succès de la nouvelle approche de la Banque centrale européenne qui avait réussi à enrayer la fuite de capitaux en Espagne et en Italie, et à calmer les marchés. Une fois de plus, l’Europe envoie un mauvais signal au monde. Ce qui se passe avec Chypre montre une fois de plus qu’il y a peu de solidarité et peu de prise en compte commune des problèmes bancaires sur le Vieux Continent. Chaque pays reste essentiellement confronté à la gestion de son système bancaire.

A-t-on voulu faire un exemple ? Sans aucun doute. Cela concrétise d’ailleurs les propos des partisans de la ligne dure (Allemagne, Finlande, Pays-Bas, etc.) qui estiment que les créanciers des banques doivent eux-mêmes participer aux plans de sauvetage. Autrement dit, le poids d’un sauvetage ne peut uniquement reposer sur les épaules du contribuable européen. Ceci dit, la solution chypriote est particulièrement injuste d’un point de vue social. Il eût été plus éthique de taxer davantage les dépôts supérieurs à 100.000 euros, et d’épargner les petits dépôts, principalement détenus par des épargnants chypriotes modestes qui n’ont aucune responsabilité dans les problèmes de leurs banques. Par ailleurs, l’opération chypriote aurait pu être organisée d’une manière plus équitable : une augmentation temporaire des impôts sur le revenu avec progressivité des taux, un impôt temporaire sur la fortune, etc.

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