Électrification des voitures à Bruxelles d’ici 2035: le point de non-retour

Robert Van Apeldoorn
Robert Van Apeldoorn Journaliste Trends-Tendances

Le gouvernement bruxellois a scellé dans le marbre la fin des voitures et des camionnettes à carburant en 2030 (diesel) et en 2035 (essence). Ce sera un énorme défi pour les constructeurs automobiles, le marché de l’occasion et aussi celui la recharge, encore peu disponible dans la capitale.

En annonçant, ou plutôt en confirmant sa volonté d’en finir avec les voitures à carburant, le gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale a créé un certain stress, car la mesure concerne beaucoup de monde. En comptant les Bruxellois et les navetteurs, il y a environ 600.000 voitures qui circulent à Bruxelles. A remplacer d’ici 13 ans au plus tard par des véhicules électriques ou à hydrogène, ou en partie – espère la Région – par des transports en commun, des vélos ou des véhicules partagés. Ce bannissement fixé à 2030 pour le diesel, à 2035 pour l’essence, s’organise à travers les règles de la zone à basses émissions en place dans la capitale qui exclut chaque année de nouvelles catégories de véhicules, selon la certification de leur motorisation. Seuls les poids lourds et certains autocars pourront encore utiliser un tuyau d’échappement dans la capitale jusqu’en 2036. Après, on ne sait pas.

Seuls les poids lourds et certains autocars pourront encore utiliser un tuyau d’échappement dans la capitale jusqu’en 2036.

Une guillotine internationale

Ces horizons avaient été annoncés par le précédent exécutif, en 2018. Bruxelles n’est pas seule cité à vouloir guillotiner la voiture à carburant: Paris les exclut plus rapidement encore, en 2024 pour le diesel et en 2030 pour l’essence ; nos voisins néerlandais, qui ont pris de l’avance en matière de véhicules électriques, interdisent l’automobile à carburant à partir de 2030 (voir infographie).

Électrification des voitures à Bruxelles d'ici 2035: le point de non-retour

Les arguments portent moins sur la question du CO2, qui joue un rôle moteur dans le réchauffement mais n’est pas dangereux pour la santé, que sur les émanations toxiques (oxyde d’azote, microparticules) pourtant réduites à chaque nouvelle génération des normes européennes Euro. L’exécutif bruxellois justifie le bannissement avec une pile d’études sur les dommages sanitaires des gaz d’échappement qui causeraient 100 à 110 décès par an. La volonté de réduire le trafic automobile n’est pas l’argument avancé mais elle fait partie de la politique de la Région. Cela explique que les mesures d’accompagnement portent surtout sur des alternatives de mobilité comme des investissements dans les transports en commun, l’encouragement aux véhicules partagés, l’augmentation de la prime pour abandonner son auto et la nomination d’un Monsieur “Mobilité et Précarité”.

“Une mesure simpliste”

Le secteur automobile, qui investit pourtant massivement dans l’électrification, est sonné par la décision. Il y voit “une mesure simpliste”, déclare Andreas Cremer, CEO de la Febiac, l’association des importateurs de voitures. “Simpliste dans le sens où la Région bruxelloise prend une décision pour laquelle elle n’endosse aucune responsabilité, ni économique ni scientifique, et qui est asociale.” Il regrette que la décision exclue des motorisations propres à carburant synthétique, en préparation, ou des hybrides rechargeables qui pourraient être “forcées” de rouler en mode électrique en ville via des dispositifs électroniques. “Nous sommes très attachés au principe de neutralité technologique, continue Andreas Cremer. Et nous estimons que ce n’est pas le rôle d’un gouvernement régional d’interférer sur ce sujet.”

Les constructeurs ont du mal à se faire entendre, en Belgique comme ailleurs. Le dieselgate a érodé la confiance. Leurs positions ne sont pas uniformes. Le groupe Volkswagen (à l’origine de ce scandale) et Volvo misent à fond sur une transition rapide vers l’électrification. D’autres comme Stellantis (Fiat, Chrysler, Peugeot, etc.) y vont avec plus de circonspection.

Y aura-t-il suffisamment de voitures d’occasion électriques à partir de 2030? Pas sûr.

L’impact économique pour les entreprises belges n’est pas encore clair. Les voitures de société ne sont pas ou peu concernées par le couperet. Les récentes mesures fiscales annoncées à leur égard vont les rendre conformes aux contraintes bruxelloises. Le gouvernement fédéral va faire voter cet été un dispositif réservant les avantages fiscaux des voitures de société aux automobiles à zéro émission à partir de 2026. Cela touchera 225.000 voitures immatriculées tous les ans. A partir de 2030/2031, la quasi-totalité de ce parc devrait être électrique (ou à hydrogène).

Pour les camionnettes, c’est une autre affaire. “Ne parlons pas des milliers de PME et de métiers pour lesquels la camionnette diesel constitue un outil de travail indispensable auquel il n’existe aujourd’hui aucune alternative”, poursuit Andreas Cremer. L’électrification des camionnettes est bien moins avancée que celle des voitures.

Prix en baisse

La transition se déroulera donc plus ou moins bien selon la disponibilité des véhicules zéro carbone à prix abordable et la multiplication des bornes de recharge, encore peu nombreuses. Aujourd’hui, les voitures électriques ou à hydrogène (encore quasi inexistantes) sont chères. Une voiture électrique coûte facilement 10.000 euros de plus que le modèle à carburant équivalent. L’ONG Transport&Environnement estime qu’avec les effets d’échelle, les prix des automobiles électriques devraient baisser rapidement et arriver au niveau de leurs consoeurs à carburant entre 2025 et 2027. Andreas Cremer estime que l’offre évolue dans le bon sens. “Le secteur investit massivement dans le développement de nouveaux modèles électriques, et l’offre disponible dans les showrooms belges a triplé en trois ans, de 20 à 60 modèles. explique-t-il. Les prix des véhicules électriques neufs se démocratisent par ailleurs”.

Selon le site Chargemap, il y a actuellement 231 zones de recharge (avec 700 prises), publiques ou sur sites privés d'accès public, dans la capitale, ce qui est fort peu.
Selon le site Chargemap, il y a actuellement 231 zones de recharge (avec 700 prises), publiques ou sur sites privés d’accès public, dans la capitale, ce qui est fort peu.© belga image

L’offre devra surtout être abondante en seconde main, un marché plus important que le neuf. Y aura-t-il suffisamment d’occasions électriques à partir de 2030? Pas sûr. Le marché pourrait être en partie approvisionné par les voitures de sociétés revendues en fin de contrat, quasi toutes électriques à partir de 2026, et qui restent quatre ou cinq ans dans les flottes. Frank Van Gool, directeur général de Renta, l’association des loueurs, évalue à 75.000 le nombre de voitures électriques en fin de contrat qui pourraient arriver annuellement sur le marché belge de l’occasion à partir de 2030. C’est beaucoup mais ça ne suffira pas, selon Vincent Hancart qui dirige le site Autoscout24, spécialisé dans les véhicules d’occasion: “650.000 occasions sont vendues chaque année en Belgique. Il est clair qu’ avec 75.000 immatriculations d’électriques en 2030, il n’y aura pas de véhicules électriques en suffisance pour alimenter le marché de l’occasion”.

Promesses et limites du réseau de recharge

L’autre sujet qui préoccupe est celui des bornes. Selon le site Chargemap, il y a 231 zones de recharge (avec 700 prises), publiques ou sur sites privés d’accès public dans la capitale, ce qui est fort peu. Sur un total de 4.708 zones de recharge en Belgique (14.234 prises). “Actuellement, Bruxelles n’est tout simplement nulle part en la matière, soutient Andreas Cremer (Febiac). On dénombre une centaine de bornes publiques de recharge aujourd’hui à Bruxelles contre plus de 1.000 à Amsterdam. La société TotalEnergies vient d’être choisie par la ville néerlandaise pour doubler ce nombre. Le développement du réseau bruxellois demandera par ailleurs une fameuse mise à jour de l’infrastructure électrique.”

Une étude publiée en juin 2020 par la Région est plus optimiste (*). Elle estime qu’il n’y aura pas de souci pour déployer un réseau de 11.000 bornes sur la voie publique (22.000 prises) d’ici 2035. Le réseau pourra les alimenter, sauf que toutes ne seront pas très rapides. La majorité des bornes seront à 7,4 kW, soit environ 40 km d’autonomie par heure. Pour aller plus vite, il faut une alimentation à 400 V qui n’est pas disponible partout (plus de 80% du réseau est à 230 V) et qui permet d’alimenter des bornes de 11 kW (70 km par h) et davantage. Il y aura sans doute un ralentissement des recharges le soir aux heures de pointe, comme à Amsterdam, prévient le document.

Cette offre devrait suffire selon les auteurs de l’étude, d’autant que beaucoup d’utilisateurs rechargent hors de la voie publique, au travail ou chez eux s’ils ont un garage. En moyenne, le branchement sur la voie publique ne représenterait que 10% à 20% des recharges. Mais tout le monde n’a pas de garage ou de bornes professionnelles disponibles, certains chargeront leurs batteries tout le temps dans la rue.

Stationnement souterrain menacé?

Le bémol le plus inquiétant se situe au niveau des contraintes de sécurité. L’étude prévient que le Siamu (les pompiers) se montre très réticent. “Ces risques sont encore méconnus en raison de leur faible incidence”, dit le document, qui relève que les pompiers recommandent actuellement des emplacements proches des entrées de parking, pour faciliter d’éventuelles interventions. Et de conclure par une prédiction inquiétante: “Il convient d’attirer l’attention sur le fait que si les normes de sécurité imposées induisent un surcoût trop important pour permettre le stationnement de véhicules électriques, leur recharge (même leur simple stationnement) dans des parkings couverts sera de facto interdite“.

(*) Vision sur le déploiement d’une infrastructure de recharge pour véhicules électriques, be.brussels, juin 2020, en collaboration avec Bruxelles Environnement, Bruxelles Mobilité, Sibelga et Brugel.

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