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Electricité: faut-il rester zen?

S’il fallait forcer l’énergéticien français à faire marche arrière, ce dernier ferait payer très cher au gouvernement et aux consommateurs ce changement de stratégie.

Voici quelques jours, l’hebdomadaire The Economistportait la “zen attitude belge” au pinacle. Il expliquait pourquoi finalement rien ne nous semblait fondamentalement bien grave à nous, Belges, lorsque nous étions confrontés à ce chaos qui semble constamment régner dans le pays. The Economist ne s’interrogeait pas seulement sur le cas de Jürgen Conings et sur cette négligence qui a permis “à un soldat de s’absenter sans permission, armé de mitrailleuses volées, de quatre lance-roquettes et de la promesse de ‘rejoindre la résistance’ et de tuer le plus grand virologue de Belgique”. Il questionnait plus largement la bizarrerie qui semble régir nos vies.

S’il fallait forcer l’énergéticien français à faire marche arrière, ce dernier ferait payer très cher au gouvernement et aux consommateurs ce changement de stratégie.

Il est peu commun, en effet, de vivre dans un pays où l’on ne sait toujours pas qui a saboté une centrale nucléaire en 2014, où on laisse les souris se gaver des plans originaux des tunnels bruxellois, qui a servi de hub à diverses équipes terroristes… mais aussi où les ménages sont plus riches en moyenne que les Britanniques ou les Français et où les soins de santé sont parmi les meilleurs au monde. Pour The Economist, “la Belgique est une expérience de gouvernance quantique, l’Etat étant simultanément partout et nulle part”.

Si cet art belge du zen décontenance l’étranger, il nous apparaît souvent comme une caractéristique sympathique d’un pays fantasque. Du moins, tant qu’il ne faut affronter rien de grave. Car le côté quantique de notre gouvernance devient problématique lorsque l’on aborde les thèmes importants, comme la défense, la lutte contre le terrorisme ou la sécurité énergétique.

La première décision de sortir du nucléaire qui, depuis quatre décennies, produit grosso modo la moitié de notre électricité, date de 1999. Or, après plus de 20 ans, très peu a été fait pour préparer ce changement. On accumule retards et approximations. Car on ne sait toujours pas combien il nous faut construire de capacité pour remplacer nos centrales nucléaires. Elia, le gestionnaire du réseau, vient de publier un rapport qui sent le souffre. Il estime qu’il nous faut bâtir en urgence pour 3,6 gigawatts de capacité supplémentaire. C’est bien plus que les estimations (de 2,3 GW) du cabinet de la ministre de l’Energie, Tinne Van der Straeten. C’est d’autant plus embêtant que le gouvernement souffre aussi d’un problème de timing: Engie, qui gère nos centrales nucléaires, avait dit que pour prolonger au-delà de 2025 les deux centrales qui peuvent encore tenir (Doel 4 et Tihange 3), il fallait une décision en novembre dernier, le temps d’effectuer les travaux de maintenance nécessaires. Or, le gouvernement a dit qu’il allait prendre une décision en novembre… de cette année. Mais entretemps, Engie a déjà entièrement amorti ses centrales et prépare sa sortie du nucléaire pour 2025.

S’il fallait donc forcer l’énergéticien français à faire marche arrière, ce dernier ferait payer très cher au gouvernement et aux consommateurs ce changement de stratégie. La conséquence de tout ceci est que si l’on ne se retrousse pas les manches maintenant, tout de suite, le pays risque un black-out (panne de courant générale) à l’hiver 2025-26. Car il ne faudra pas trop compter sur un apport d’électricité étrangère. Nos voisins ont, eux, mis en place des plans stratégiques de sortie du nucléaire et de décarbonation de leur électricité qui aboutissent à une réduction des capacités de production excédentaire. Pour éviter le black-out, nous devrions alors payer très cher notre électricité à des fournisseurs qui pourraient dicter leurs conditions à des autorités aux abois.

Mais restons belges et composons un petit haïku: Rude sera l’hiver/L’oiseau zen chante et oublie/Mortelle est la neige.

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