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Élections françaises: gagner sans programme et sans campagne

Lire la chronique de Thierry Afschrift Professeur ordinaire à l'Université libre de Bruxelles.

Qui osera critiquer, pour de basses questions sociales ou économiques, le président qui fait semblant de défendre la France et l’Europe contre l’ennemi?

Nous avons l’habitude, en Belgique, des partis politiques qui font campagne sans arguments. Ils ont certes un programme, que l’on trouve en cherchant beaucoup sur leur site internet et qui est approuvé par acclamations lors de congrès, mais seuls des militants déjà convaincus les consultent parfois. Personne ne s’intéresse vraiment aux programmes des différents partis.

Les Etats-Unis ont fait mieux en novembre 2020. Le parti démocrate a gagné en n’ayant pas de véritable candidat. Certes, Joe Biden est actuellement président. Mais sans trop exagérer, on peut dire que personne n’a voté “pour” lui. Le seul objectif du candidat et de son parti, c’était d’évincer Donald Trump. Il se fait que la majorité de la population était du même avis, et Biden a gagné simplement parce qu’il fallait faire perdre Trump. Il semble que c’était un bon argument puisqu’il a réussi.

C’est d’ailleurs une des fonctions de la démocratie que d’éliminer les candidats dont la population ne veut pas. Si le système existait en Russie, il est probable que ce pays ne serait pas actuellement l’agresseur dans une guerre inutile.

Et Biden fait exactement ce qu’on lui demande: il occupe le pouvoir pour que Trump n’y accède pas, du moins jusqu’en 2024. Pour le reste, aujourd’hui comme pendant sa campagne, il est incapable d’unifier une majorité d’idées dans un parti très divisé: certains démocrates partisans des thèses woke ou de conceptions économiques qui plairaient à notre PTB ne sont pas près de voter la même chose que des démocrates “centristes”, souvent plus à droite que n’importe quel parti démocratique européen.

En France, Emmanuel Macron est en train de faire encore mieux. Il dispose certes d’un (discret) programme et du bilan de son quinquennat qui va se terminer. Mais il a bien compris qu’il n’avait aucun intérêt à aborder celui-ci, où le passif est fort lourd, ni à faire des propositions portant sur ce qu’il n’a pas réussi à faire pendant cinq ans. Et puis, un programme, c’est susceptible d’être critiqué par les autres candidats ou peu apprécié par les électeurs.

Macron se contente donc de capitaliser sur le fait que la France assume la présidence tournante de l’Union européenne. Cela lui permet de parader, de donner l’impression qu’il sert à quelque chose en parlant régulièrement avec Poutine, sans jamais rien obtenir. Bref, de faire comme si la France était encore une grande puissance, ce qui ravit sa population. Pour le reste, il lui suffit de stigmatiser les candidats d’extrême droite et d’extrême gauche, qui sont d’utiles repoussoirs.

Dans ces conditions, il devient inutile de faire campagne et de donner l’impression de s’abaisser à proposer des solutions aux énormes problèmes d’un pays en déclin constant, même par rapport à ses partenaires européens comme l’Allemagne. Mais qui osera critiquer, pour de basses questions sociales ou économiques, le président qui fait semblant de défendre la France et l’Europe contre l’ennemi, qui garantit efficacement la paix en ne faisant rien qui puisse provoquer la guerre et qui convoque ses alliés obligés au château de Versailles pour prendre une énième salve de “sanctions” contre les Russes?

Il n’y a plus grand doute aujourd’hui qu’avec ou sans débat, la formule de Macron “sans programme ni campagne” sera victorieuse. Elle passe sans doute, comme il y a cinq ans, par le fait de tout faire pour favoriser un second tour contre Marine Le Pen, qui n’a à l’évidence ni l’envergure ni la respectabilité pour lui succéder.

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