Economie en 2011 : on naviguera à vue…

Après une année en dents de scie, les marchés continueront à se montrer hésitants. Un contexte qui freine la reprise et qui risque d’alimenter la guerre des monnaies.

Si 2008 a été l’année de la crise financière et 2009 l’année de la reprise, 2010 aura surtout été marquée par le doute. Les marchés d’actions ont régulièrement amorcé une reprise, pour ensuite dégringoler, oscillant entre la confiance retrouvée grâce à la hausse des profits et l’inquiétude suscitée par la fragilité de la reprise économique.

Toute cette hésitation provient sûrement des perspectives d’inflation. Nombre d’acteurs du marché financier ont craint que le fardeau de la dette publique dans les différents pays industrialisés et la fragilité de l’économie n’entraînent une période prolongée de déflation, comparable à ce qu’a connu le Japon ces 20 dernières années. Les investisseurs redoutent que certains gouvernements n’adoptent une politique économique inflationniste pour tenter d’alléger le poids important de leurs dettes. Cette peur s’est notamment manifestée par une hausse continue du cours de l’or, le métal jaune atteignant des sommets inégalés en 10 ans. Le lingot a même enregistré de bien meilleures performances que les marchés d’actions.

Un retour à la normale, ou pas

La volatilité des marchés de matières premières, comme le pétrole et les denrées alimentaires, offre un autre thème de réflexion. De telles évolutions n’ont pas partout le même effet. La hausse des cours des matières premières est à la fois symptomatique de l’augmentation de la demande dans les pays en développement et de l’accélération de l’inflation dans ces mêmes pays. Dans les pays les plus industrialisés, en revanche, la hausse des prix des matières premières peut agir comme une force déflationniste, un impôt qui réduit le pouvoir d’achat des consommateurs. La réaction des milieux politiques à cette situation varie également dans le monde, ce qui ajoute à la confusion.

L’année 2011 apportera des réponses aux investisseurs qui ne savent pas encore s’il faut se méfier de l’inflation ou de la déflation. Il se peut que l’économie commence à revenir à la normale et, dans ce cas, les taux d’intérêt à court terme augmenteront et les marchés obligataires souffriront. La tendance contraire est également possible, le resserrement des politiques budgétaires, notamment en Europe, venant donner un coup de frein à la reprise. Dans ce cas, le syndrome japonais sera évoqué et on peut imaginer que les rendements des obligations à moyen terme reculent pour s’établir dans une fourchette de 1-2 %.

Cela peut paraître inconcevable compte tenu de la crise des dettes souveraines, qui paraissait si menaçante en 2010. Mais les titres d’emprunt d’Etat sont aussi des valeurs refuges sur les marchés de capitaux ; les incertitudes autour de la solvabilité des obligations grecques ou portugaises ne font qu’encourager les investisseurs à opter pour la sécurité des titres d’emprunt d’Etat allemands ou des titres du Trésor américain. Les gouvernements vont donc marcher sur une corde raide, en s’efforçant de faire preuve de suffisamment de discipline budgétaire pour rassurer les marchés, sans aller trop loin pour ne pas remettre en cause la reprise chez eux.

Les marchés d’actions suivront la tendance suivie par la croissance et l’inflation. Le redressement des bénéfices a fait reculer le ratio cours/bénéfices (PER) sur la plupart des marchés. Les rendements boursiers en Europe ont été supérieurs aux rendements qu’offraient les titres d’emprunt d’Etat, un phénomène qui ne s’était pas produit depuis la fin des années 1950. La recherche par les investisseurs de rendements boursiers plus élevés est le reflet de leur crainte d’une croissance poussive des dividendes, voire d’une réduction des versements.

Phase baissière pour les marchés

S’il faut s’attendre à un essoufflement de la croissance économique pendant plusieurs années, cette sombre vision concernant les dividendes pourrait se matérialiser. En définitive, le redressement des bénéfices sur la période 2009-2010 est dû pour une bonne part à une amélioration des marges. Les entreprises ont pu réduire leur personnel tout en améliorant la productivité de la main-d’£uvre restante. Mais cette situation ne pourra pas durer. Soit l’économie va se rétablir, et le coût de la main-d’£uvre va augmenter, soit le taux de chômage va peser sur la demande et les recettes en souffriront.

Les performances hésitantes des marchés boursiers ont conforté l’idée qu’ils vont traverser une phase baissière comparable à celle observée en 1929-1949 ou en 1965-1982. Cela n’exclut pas la possibilité d’une forte hausse à l’occasion de certaines années (comme en 2009), mais rend par définition impossible des redressements sur plusieurs années. Reste aux investisseurs l’espoir de voir les marchés émergents générer des rendements suffisants pour sauver leurs portefeuilles. Mais, au second semestre de 2010, cette perspective, vite devenue un pari consensuel, a déjà été prise en compte par le marché.

Des échanges commerciaux houleux

Cela étant, peut-être que 2011 sera une année où ni les actions ni les titres d’emprunt d’Etat n’occuperont le devant de la scène, mais où les devises seront au c£ur de l’actualité. Après tout, il devient de plus en plus difficile de trouver un pays qui aimerait voir sa monnaie s’apprécier. Certes, en 2010, la Chine, constamment critiquée – surtout par les Etats-Unis – pour la sous-évaluation de sa monnaie, a pris des mesures pour permettre au yuan d’augmenter par rapport au dollar, mais l’incidence de cette hausse minimale a été insignifiante. Il faut dire que la Chine connaît un franc succès en tant qu’exportateur et que son excédent commercial est considérable. D’autres pays essaient de suivre son exemple. Cela passe par une dépréciation de leur monnaie pour rendre les exportations plus attrayantes. De l’autre côté de l’équation, il faut cependant un importateur net et quelqu’un qui permette à leur monnaie d’augmenter.

Au mieux, cette approche donnera lieu à des échanges commerciaux houleux en 2011, les pays s’efforçant de faire reculer leurs monnaies à force de discours, voire en intervenant sur les marchés. Au pire, elle suscitera une montée du protectionnisme, les pays s’accusant mutuellement d’acquérir “artificiellement” des parts de marché. Les rumeurs sur une guerre des monnaies prennent de l’ampleur.

Il est donc fort probable qu’en 2011 les marchés soient pris au piège par la politique, même en l’absence d’élection présidentielle aux Etats-Unis. Quand les ressources se font rares, les querelles sont plus vives pour se les partager.

Philip Coggan, journaliste spécialisé dans les marchés financiers à The Economist

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