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Dis Stéphane, dessine-moi ton entreprise

Si l’affaire Nethys choque, c’est autant parce qu’elle met en avant des comportements immoraux et contraires à l’image d’un bon management qu’en raison de possibles irrégularités.

Le management de Nethys pouvait-il se voir octroyer de formidables excédents de rémunération pour échapper à un décret visant à plafonner les salaires ? Pouvait-il céder ainsi, comme il l’aurait fait sans l’intervention in extremis de la tutelle, les principales entités opérationnelles du groupe ? La justice tranchera.

Mais ce qui ébranle, au-delà des aspects purement judiciaires du dossier, c’est cette économie de l’entre-soi qui a pu se développer à ce point sans garde-fou. Nethys, une bénédiction pour l’économie liégeoise ? En réalité, à moins de croire en l’existence d’une réalité alternative propre aux bords de Meuse, on aperçoit surtout un système de renvois d’ascenseur très efficace pour faire monter quelques fortunes particulières aux étages supérieurs en abandonnant l’intérêt commun au rez-de-chaussée.

On nous dit que ces rémunérations exorbitantes seraient méritées car, au final, il s’agissait de conserver un petit groupe d’entrepreneurs de génie qui auraient pu susciter la convoitise d’autres entreprises ? Des managers exceptionnels, vraiment ? Alors vas-y, Stéphane, dessine-moi ton entreprise. Sur ces cinq dernières années où cette équipe était aux manettes (2014-2019), Voo, le principal actif du groupe, a perdu 230 millions d’euros en termes de cash-flow. Cela dans un secteur où la rentabilité est plutôt florissante et le cash, abondant. Cherchez l’erreur.

L’acquisition du pôle presse belge – on ne parle même pas de l’investissement rocambolesque dans La Provence et Nice-Matin – n’a pas été non plus une grande aventure entrepreneuriale. L’Avenir, Moustique, Proximag ont été payés 36 millions d’euros. Or, entre 2014 et 2019, ces entreprises ont accusé une perte cumulée de 26 millions. On ajoutera comme exemple de “bonne gestion” que les éditions de L’Avenir avaient été achetées en oubliant qu’elles détenaient une participation juteuse dans Audiopresse (actionnaires de RTL-TVI) qui était donc restée chez le vendeur, Mediabel…

Vous en voulez encore ? Concernant la filiale à 70% Integrale, 300 millions ont été injectés en pure perte dans cet assureur spécialisé dans l’assurance-vie qui ne vaut plus rien aujourd’hui. Et l’on se demande aussi pourquoi, en changeant de management, Voo, Elicio et Win ont dégagé un profit de 47, 1 millions d’euros alors qu’un an auparavant, sous l’ancien management, il n’était que de 16,8 millions… Certes, 2020 a été une année bénie pour les éoliennes de la mer du Nord qui ont bénéficié d’une météo venteuse à souhait… mais cela n’explique pas tout.

Les émanations mosanes troubleraient-elles le jugement ? En 2018, un consultant qui a récolté chez Nethys une quarantaine de millions sur une dizaine d’années avait passé quatre heures à expliquer au conseil d’administration que Nethys avait créé entre 600 millions et un milliard de valeur pour l’actionnaire en six ans. Il expliquait alors que le groupe valait 3 milliards. Pourtant, le même, un peu plus tard, valorisait Voo à 1 milliard (donc la participation de Nethys à 700 millions) et Elicio (très endetté, certes) à 2 euros. Où sont passés les 3 milliards ?

Pour expliquer ces décisions étonnantes, certains membres de l’ancien management ont convoqué l’existence de “mains invisibles”. Ils auraient été soumis aux volontés de “parrains” politiques discrets mais puissants. Mais lorsque l’on se présente comme des managers d’exception méritant un salaire très élevé, on se bat au moins pour l’intérêt de la société qui vous paie et l’on a le devoir de faire barrage aux tentatives de détournement, d’abus ou aux tentatives d’ingérence politique, non ?

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