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Digital: l’Europe a repris le pouvoir

Aux entreprises digitales européennes à prouver qu’elles sont meilleures. Elles en ont désormais la possibilité.

On l’a un peu oublié avec la guerre qui ravage l’Ukraine: l’Union européenne s’est également positionnée depuis quelque temps sur un autre champ de bataille nettement moins sanglant mais tout aussi crucial, celui de l’économie digitale.

Le problème, bien analysé par Lina Khan, la présidente de la FTC, le gendarme américain de la concurrence, est la manière dont les grandes plateformes digitales exercent un pouvoir dictatorial sur les marchés et détruisent la concurrence. Par le passé, une concurrence faussée se traduisait dans les prix. Aujourd’hui, explique Lina Khan, elle se reflète plutôt dans l’absence de choix et donc dans les volumes: le premier rafle toute la mise et ne laisse rien à ses concurrents. En ayant la main sur la récolte de données personnelles, le marché publicitaire, les capacités de stockage dans le cloud, les moteurs de recherche, les applications nécessaires au bon fonctionnement de nos PC ou nos smartphones, les Gafam ont obligé de très nombreuses entreprises à passer sous leurs fourches caudines.

Jusqu’à présent, l’Union européenne avait essayé de contrer la puissance de ces géants sur le champ de la concurrence. “La Commission devait mener des enquêtes pendant des années, recueillir des données, analyser l’impact sur le marché, etc.”, observe un juriste. Mais ce processus était long et incertain. Apple avait fini par échapper à la condamnation européenne qui lui intimait de payer 13 milliards d’euros au fisc irlandais.

L’adoption ces derniers jours du Digital Market Act par le Conseil et le Parlement européens révolutionne cette approche en établissant au préalable les règles du jeu. En ce sens, c’est sans doute un des textes législatifs les plus importants de ces dernières années. Le paquet vise les plateformes qui réalisent au moins 7,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires dans l’Union, dont la capitalisation boursière dépasse 75 milliards d’euros et qui affichent plus de 45 millions de visiteurs par mois. Le texte, qui devrait entrer en vigueur en 2023, cible donc en pratique les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft), plus quelques autres (Netflix, Uber…). Ce paquet sera complété par un autre, le Digital Services Act, davantage axé sur la protection de la vie privée.

Ces géants ne pourront plus utiliser leur force de frappe pour renforcer leur position déjà dominante. Ils devront demander au consommateur son consentement pour pouvoir croiser les données et réaliser les profils numériques vendus aux annonceurs. Ils ne pourront plus imposer aux consommateurs des logiciels préinstallés (les utilisateurs d’iPhone ne seront donc plus obligés de passer par l’Apple Store pour leurs applications). Ils seront obligés d’assurer l’interopérabilité de leur service de messagerie (un compte WhatsApp devra pouvoir communiquer avec un compte iMessage). Les sanctions en cas de désobéissance sont dissuasives: 10% du chiffre d’affaires mondial, un montant doublé en cas de récidive.

“Nous avons repris le pouvoir”, s’est félicité le commissaire au Marché intérieur Thierry Breton. Sans doute. Mais il faut désormais en user. Si nous voulons vraiment nous réjouir d’une réouverture de la concurrence digitale en Europe, il faudra que ces textes soient suivis par des actes. Il faudra que l’on assiste à l’émergence d’entreprises digitales européennes qui, puisqu’elles risqueront moins de se faire déchirer d’emblée par les grands compétiteurs digitaux américains ou chinois, pourront tenter l’aventure. Ce n’est pas gagné. Elles devront prouver qu’elles sont meilleures pour emporter des marchés. Mais elles en ont désormais la possibilité. Et cela, c’est une grande nouveauté.

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