Paul Vacca

Des “fake news” considérées comme un ciment social

Paul Vacca Romancier, essayiste et consultant

Pour être franc,je n’ai encore jamais croisé un ours dans les bois. Heureusement, William James, un philosophe et psychologue américain de la fin du 19e siècle, s’est intéressé à la question pour analyser nos émotions humaines.

Qu’a-t-il constaté ? Que la rencontre était analysée communément en trois temps.

1. Nous apercevons l’ours ;

2. Nous avons peur ; et

3. Nous fuyons.

C’est cette vision, certes hyperbolisée, que l’on retrouve dans les dessins animés où le personnage face à la menace se retrouve glacé par l’effroi et se fige dans la phase 2 de la peur qui dure un certain laps de temps avant que ne s’enclenche in extremis la phase 3 de la fuite salvatrice. Or, pour William James, cela ne se passe pas ainsi. Nous ne fuyons pas ” parce que ” nous avons peur, mais nous nous retrouvons à courir et, tout en prenant la fuite, notre réaction corporelle nous est signalée comme étant de la peur. La chaîne causale est inverse : ce n’est pas la peur qui nous fait fuir, c’est la fuite qui engendre notre sentiment de peur.

Plus on prouve l’absurdité d’une “fake news”, plus on en fait un vecteur de cohésion puissant.

Maintenant, comment réagissons-nous lorsque nous rencontrons une information dans les bois des réseaux sociaux ? Là aussi, l’analyse communément admise veut que :

1. Nous nous trouvions face à une information ;

2. Que nous l’analysions ; et

3. Que nous agissons en conséquence.

Une causalité linéaire qui va de l’information à son traitement par notre logiciel interne à l’action. C’est ainsi, par exemple, qu’on a pu expliquer le vote en faveur du Brexit : les Brexiters ont divulgué massivement la fake news selon laquelle la Royaume-Uni versait 350 millions de livres par semaine à l’Europe, certains y ont cru et ont en conséquence voté pour la sortie de l’Union européenne. Cependant, pour Hugo Mercier, cognitiviste et chercheur au CNRS, il faut là aussi penser la chaîne de causalité à rebours comme le fait William James. Ce n’est pas parce que les gens ont cru au chèque hebdomadaire versé à l’Europe qu’ils se sont déterminés à voter pour le Brexit, mais parce qu’ils étaient en accord avec les valeurs du Brexit qu’ils ont pris l’argument des 350 millions de livres au sérieux.

Ce renversement copernicien de la vision du processus de décision a des conséquences concrètes, notamment concernant notre façon d’appréhender les concepts de propagande, de théories du complot ou tout simplement de fake news. Il remet en cause l’idée vieille comme le monde et défendue ¬ tous bords politiques confondus ¬ d’une influence descendante de la communication. Ce que Voltaire résumait en son temps : ” Ceux qui peuvent vous faire croire à des absurdités peuvent vous faire commettre des atrocités “. Pour Hugo Mercier, Voltaire pense à l’envers : c’est le fait de vouloir commettre des atrocités, dit-il, qui vous fait croire n’importe quoi. Du même coup, c’est l’idée d’une crédulité des masses qui en prend un coup. Des millions de cerveaux malléables à qui l’on pourrait imposer n’importe quoi à coup de budgets de communication.

Mais alors pourquoi diable voit-on circuler tous les jours autant d’absurdités sur Internet entre les adorateurs de la Terre plate, ceux qui pensent l’idée que le 11-Septembre était un inside job, que l’on n’aurait jamais été sur la Lune ou qu’Obama est musulman ? Cela prouve avant tout que ceux qui professent ces absurdités ont envie de les proférer, pas nécessairement qu’ils sont crédules. Car en réalité, combien d’entre eux croient véritablement en ces thèses ? La plupart de ceux qui vous affirment que la Terre est plate se dégonfleraient si on leur demandait d’en faire le pari en tentant l’expérience à pied. Pourquoi divulguer une telle absurdité si, au fond d’eux, ils n’y croient pas ? La raison est avant tout sociale : dire que la Terre est plate revient avant toute chose à signer un acte d’appartenance à un groupe soudé autour de ces valeurs. Ces croyances sont essentiellement performatives : le simple fait de les proférer vaut allégeance au groupe. Elles n’ont qu’une valeur d’échange, pas d’usage pour ceux qui y adhèrent. En ce sens, les fake news et les théories du complot constituent un ciment social.

Avec un constat terrible : plus on prouve l’absurdité d’une fake news, plus on en fait un vecteur de cohésion puissant. Car si les gens se retrouvent autour d’une fake news ou d’une théorie du complot, ce n’est pas en dépit de son caractère absurde, c’est précisément grâce à lui.

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