“Depuis les années 1970, on vit à crédit par rapport aux ressources de la planète”
L’historien Kenneth Bertrams (ULB) évoque dans notre Trends Talk les origines de la crise énergétique actuelle et rappelle combien on a ignoré délibérément les nombreux signaux annonciateurs.
La rentrée économique est marquée par des appels à la sobriété, sur fond de crise énergétique, et en lien avec cette “fin de l’abondance” que prédisait le président français, Emmanuel Macron. “Cette évocation de la fin de l’ère d’abondance est truffée de référence historiques“, souligne Kenneth Bertrams, professeur d’histoire contemporaine à l’ULB, invité de notre Trends Talk hebdomadaire, qui passera en boucle ce week-end sur Canal Z.
En évoquant cette “fin de l’abondance”, souligne Kenneth Bertrams, Emmanuel macron fait référence à la période dite des Trente Glorieuses, entre la fin de la Seconde guerre mondiale et le milieu des années 1970, “trente années de croissance ininterrompue, dans certains cas à deux chiffres, marquées par des salaires élevés, un pouvoir d’achat plus important, une société de la consommation, appuyées également sur une productivité élevée”. L’économiste canadien John Kenneth Galbraith avait alors parlé d’un “âge d’abondance”. Il écrivait déjà à l’époque, au milieu des années 1960, que cet âge d’abondance n’avait peut-être pas vocation à durer.”
Le néolibéralisme et le dogme du pouvoir d’achat cher à la gauche ont tenté, depuis, de prolonger cette période d’abondance. Le tournant s’opère au milieu des années 1970 à l’issue de ce qui s’apparente pourtant à un sérieux avertissement: la première crise pétrolière. “Depuis, on vit à crédit par rapport à l’énergie et aux ressources de la planète“, souligne de Kenneth Bertrams.
En 1972, le rapport Meadows, commandité par le Club de Rome et des industriels, évoque aussi “les limites de la croissance dans un monde fini”. “C’était très mal reçu à l’époque. Depuis cinq à dix ans, certains se rapproprient ce rapport Meadows, qui était alarmiste parce qu’il disait clairement qu’à partir du premier quart du XXIe siècle, si on continuait avec cette consommation, la part des énergies fossiles sera tellement importante qu’il y aura des effets désastreux au niveau climatique, mais aussi des ressources qui sont tout simplement finies”, souligne l’historien.
Les mouvements écologiques sont nés aussi, dans les années 1970-80, de cette crise qui était écrite. “Ces mouvements, plutôt d’origine citoyenne, tirent la sonnette d’alarme en se greffant sur des sujets concrets pour alerter les gens. En filigrane, il y avait un message pour la planète. Je suis frappé de revoir certaines déclarations de René Dumont, premier candidat Ecolo à la présidentielle en France, par exemple, qui était ringardisé à l’époque. C’était l’époque de Giscard, qui voulait mettre en place une France moderne, basée sur la croissance. René Dumont, lui, venait avec un petit verre d’eau en disant que c’est la ressource la plus importante, il faut la protéger. Tout le monde riait. Là, maintenant, on se dit que c’était un pionnier.”
La guerre en Ukraine et ses conséquences, souligne-t-il, met le doigt sur la dépendance des pays européens aux énergies. “Depuis les années 1970, les historiens ne cessent de le dire, on ne peut pas dire qu’on ne le savait pas.”
Une longue et passionnante analyse de la crise actuelle, à suivre sur Canal Z à partir de samedi 11h.
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