Dégressivité du chômage et suppression des allocations d’insertion: des réformes illégales ?

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Il existerait une “faille juridique” concernant le principe de dégressivité des allocations de chômage et la suppression des allocations d’insertion. Ces principes entreraient en contradiction avec une disposition importante inscrite dans la Constitution. Cette dernière proclame un droit à la sécurité sociale dont les acquis ne peuvent être détricotés. Explication avec un spécialiste de la question.

Ces dernières semaines, plusieurs recours ont été introduits contre les principes de dégressivité des allocations de chômage et la suppression des allocations d’insertion. Sur les ondes de La Première ce matin, Daniel Dumont, docteur en droit, professeur à l’ULB et spécialiste du droit de la sécurité sociale a donné plus d’explications sur ces pratiques qui entreraient en contradiction avec un principe inscrit dans la Constitution. De là à parler vraiment d’illégalité, on n’y est pas encore, malgré “de sérieux arguments en ce sens”.

Daniel Dumont commente : “Nous avons dans notre Constitution – le texte qui occupe la place la plus élevée dans la hiérarchie des normes – une disposition très importante qui proclame un droit à la sécurité sociale (l’article 23 de la Constitution). Et la question est de savoir quelle est la portée juridique de ce droit à la sécurité sociale.”

C’est le Parlement ou le gouvernement qui “donne un contenu” à ce droit particulier, via des lois en matière de pension, chômage ou encore, en matière d’allocations familiales…Ce droit à la sécurité sociale inscrit dans notre Constitution est assorti d’un effet dit de “standstill” ou “principe de non-rétrogression”, indique Daniel Dumont. Ce principe implique que le législateur ne peut pas défaire ce qui existe déjà, il ne peut pas revenir sur des acquis sociaux déjà en place. Daniel Dumont précise que ce principe de non-rétrogression n’est pas absolu, il ne s’agit pas “d’une interdiction radicale” de revenir sur ce qui a été précédemment décidé. “Le principe est bien qu’on ne peut pas reculer, qu’on ne peut pas détricoter les protections sociales, mais, par exception, on peut le faire“, précise le docteur en droit, professeur à l’ULB.

Trois exceptions pour détricoter les protecions sociales

Il existe ainsi trois conditions principales qui permettent, “par exception” de détricoter un acquis social que le spécialiste détaille au micro de la RTBF:

– Il faut tout d’abord pouvoir invoquer “un but d’intérêt général”, par exemple, le fait “d’inciter les travailleurs sans emploi à réintégrer le marché du travail”, mais cela peut également être dans le but de “faire des économies budgétaires”.

– Deuxièmement, “il faut que la réforme poursuivie soit nécessaire”, elle doit atteindre le fameux “but d’intérêt général” fixé, mais, “parmi les différentes possibilités sur la table, le législateur doit choisir celle qui va le moins porter atteindre aux droits sociaux”, et qui va donc le moins revenir sur ces acquis sociaux.

– Enfin, il faut que cette réforme, “qui poursuit un but d’intérêt général et qui est nécessaire” pour l’atteindre, “n’ait pas des effets disproportionnés”. La réforme, “dans ses différentes modalités techniques, ne doit pas avoir pour effet de détricoter complètement, de réduire quasiment à néant l’acquis social sur lequel on revient”.

Quelles démarches doit entreprendre le chômeur ?

Et dans la pratique, que peut dès lors entreprendre le chômeur qui subirait une dégressivité de ses allocations de chômage ou une suppression de ses allocations d’insertion ? Daniel Dumont conseille à ces personnes d’aller devant le tribunal du travail, une possibilité qui est, selon ses dires, actionnée actuellement par de plus en plus de chômeurs. “Chaque chômeur individuellement, au moment où il reçoit une décision de l’Onem, peut aller (dans les trois mois, ndlr) devant le tribunal du travail et dire ‘Cette décision de l’Onem me semble contraire à l’article 23 de la Constitution’.” Il s’agira alors d’une action individuelle en justice avec pour but la non-application, là aussi individuelle, de la nouvelle réforme, car elle est contraire à ce principe de non-rétrogression. “Il est toutefois difficile de pronostiquer quant aux réponses des juridictions du travail sur ces recours (…), mais, a priori, il ne s’agit pas là d’une construction loufoque, ou tout à fait inédite : on a eu des précédents dans la jurisprudence. Il y a eu des cas similaires par le passé où des réformes ont été jugées contraires à ce principe de ‘standstill’“, conclut le juriste.

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