Danielle Devogelaer (Sia Partners) : “Les négociations entre Engie et l’Etat, c’est une partie d’échecs de haut niveau”
Pour Danielle Devogelaer, la spécialiste des questions liées à l’énergie au sein du cabinet de conseil Sia Partners, il n’est pas étonnant que les négociations entre Engie et l’Etat prennent autant de temps.
En marge d’une soirée organisée par la firme de conseil Sia Partners dans le très beau cadre de la Bibliothèque royale de Belgique, intitulée The Climate Dinner et agrémentée en préambule d’un débat sur les enjeux climatiques, Danielle Devogelaer, manager chez Sia Partners et spécialisée dans les matières énergétiques, a répondu à nos questions.
Le fait que les négociations entre Engie et l’Etat sur la prolongation prennent tant de temps vous étonne-t-il ?
Non, cela ne m’étonne pas du tout. Engie est un acteur privé qui détient un quasi-monopole sur les réacteurs nucléaires belges. Il a de solides cartes dans son jeu et il ne faut pas oublier qu’il a dû faire face à de nombreuses incertitudes ces derniers mois et années : la durée de vie opérationnelle des réacteurs, sera-t-elle prolongée, pour combien de temps, pour combien de réacteurs, dans quelles conditions ? Cela vaut encore plus pour l’avenir : quel sera le prix de l’électricité en 2032, par exemple, qu’en est-il de la taxonomie européenne, quel sera le montant exact d’investissements nécessaires, etc. ? Étant donné que l’incertitude a un coût considérable, cet élément est inclus dans les négociations. L’État belge par contre a intérêt à négocier le prix le plus bas possible pour le contribuable à des conditions de sécurité nucléaire les plus strictes, ce qui conduit à un champ de tension naturel. En fait, c’est une partie d’échecs de haut niveau.
Peut-on être confiant sur leur aboutissement ?
Tout finit toujours par s’arranger. D’une manière ou d’une autre, un compromis émergera. N’oublions pas non plus qu’il existe des intérêts communs entre l’Etat belge et la société Engie et que les pions de la partie d’échecs ont beaucoup changé depuis le début de la législature : la guerre en Ukraine, la crise sanitaire, le renforcement des objectifs climatiques, etc. Techniquement, il existe plusieurs options, c’est aux politiciens de décider ce qui est, ou non, admissible.
L’approvisionnement en gaz russe se tarit : les stocks seront-ils suffisants pour l’hiver ?
Il n’est pas évident de répondre à cette question aujourd’hui. Le premier réflexe doit être de consommer moins. Nous constatons qu’aujourd’hui, en Allemagne, des appels sont déjà lancés pour que l’on prête attention à sa consommation de gaz naturel, pour la réduire dans la mesure du possible. On l’oublie souvent, mais un kWh qui n’est pas consommé ne doit pas non plus être produit ou importé. Bien entendu, la consommation de gaz naturel est (en partie !) liée à la température et la rigueur de l’hiver jouera un rôle important dans le niveau de la demande de gaz naturel.
Entretemps, toutes sortes de moyens sont mobilisés, mais il n’y a pas de solution miracle ?
Substituer l’approvisionnement de 40% de notre consommation de gaz naturel en Europe par d’autres moyens est un énorme défi à court terme, aggravé encore avec les problèmes à Freeport. En raison d’un incendie dans l’installation d’exportation de LNG aux Etats-Unis, nous pouvons moins compter sur ces exportations et une augmentation de la production domestique en Europe est fort restreinte à court (et même moyen ou long) terme.
Faut-il se préparer à la concertation avec nos pays voisins, comme le dit la ministre de l’Energie Tinne Van der Straeten ?
Oui, c’est même une obligation européenne.
Que pensez-vous des dernières mesures du gouvernement pour aider les ménages ?
Tout au long de la double crise (sanitaire et énergétique), le gouvernement a pris des mesures mûrement réfléchies pour soulager les souffrances de nombreuses familles en peu de temps. À court terme, il est nécessaire d’agir vite, mais à moyen terme, il faut se préparer à l’avenir. Une politique cohérente avec le net zero emission et les objectifs climatiques est donc fondamentale. Les subventions aux énergies fossiles, de soutien à l’achat de gaz naturel ou de pétrole, semblent alors moins souhaitables et soutenables. Une approche plus ciblée vers les plus démunis qui en même temps colle avec l’efficacité énergétique est cruciale.
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