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“Croit-on que les dettes disparaîtront d’elles-mêmes ?”

“Construire la confiance, cela ne se fait pas en recherchant des arguments faciles pour reporter systématiquement les problèmes vers le futur”. C’est l’opinion de Jef Vuchelen, professeur d’économie à la VUB.

Maintenant que les contraintes budgétaires règnent à nouveau et que les critiques sur la politique d’expansion de la Banque Centrale Européenne s’intensifient, la pression monte pour adoucir la politique d’économie. Moins épargner donnerait un coup de pouce à la demande macroéconomique et améliorerait de la sorte la conjoncture. Pour le formuler autrement : en reportant encore plus de dettes vers le futur, nous améliorons notre sort.

Construire la confiance, cela ne se fait pas en recherchant des arguments faciles pour reporter systématiquement les problèmes vers le futur

La rhétorique pour adoucir la politique budgétaire revêt de multiples formes. On plaide ainsi pour l’affaiblissement ou le report des objectifs budgétaires. Les propositions pour maintenir les investissements publics hors budget sont également populaires. Dans ce contexte, on fait abstraction du fait que, jusqu’au milieu des années septante, c’était déjà le cas, et que cela avait débouché sur une dérive de débudgétisation incontrôlable. En outre, il est tout sauf simple de définir les investissements publics. Les dépenses pour l’infrastructure le sont clairement, mais les travaux d’entretien le sont-ils aussi ? Et qu’en est-il alors des bâtiments publics, des salaires des enseignants et des médecins, etcetera ? L’expérience nous apprend que les responsables politiques font preuve d’une créativité sans limites lorsqu’il s’agit de contourner les règles budgétaires européennes. Que des économistes négligent cela lors de la formulation de ‘solutions’ à nos problèmes économiques, explique pourquoi leur prestige se rétrécit de plus en plus.

Il est étrange que l’ajournement des problèmes résulte en fin de compte en une augmentation de la croissance économique. Quand et comment les dettes colossales seront ramenées à des proportions raisonnables, c’est habilement passé sous silence. Ou bien croit-on qu’elles disparaîtront d’elles-mêmes grâce aux gigantesques effets retour ?

Finalement, cela devient un puits du futur sans fonds. Le raisonnement semble être que si nous continuons à reporter tous les problèmes qui se présentent, ils finiront pas disparaître dans ce puits. Plutôt étonnant, que l’expérience japonaise, où l’économie continue à faire du surplace malgré un ratio d’endettement de plus de 200% du PIB, ne suscite aucun doute. Plus près de chez nous, l’expérience grecque nous apprend que l’on ne peut pas nier les problèmes indéfiniment. Si les Grecs avaient entamé une politique budgétaire plus orthodoxe dix ans plus tôt, la situation n’aurait pas déraillé et nous aurions évité une crise existentielle de l’euro. Cette crise a coûté énormément à l’ensemble de l’Europe. Sans elle, la crise financière serait probablement déjà digérée. Les Grecs ont vécu pendant dix ans comme si le puits du futur était sans fond. La question, aujourd’hui, est de savoir si les avantages de ce gaspillage compensent la douleur des adaptations ultérieures.

La discussion au sujet du déficit budgétaire optimal doit s’inscrire dans le cadre de la réalisation d’un équilibre budgétaire et même d’un léger excédent à moyen terme. Peu importe si nous atteignons ce but en 2018, 2019 ou en 2020, mais un éventuel report de cet objectif doit être solidement justifié et ne pas être motivé par un manque de courage d’assainissement politique, impliquant de faire appel à des arguments soi-disant économiques comme la mise en danger de la relance conjoncturelle. Les économies affecteront toujours l’économie. Si nous n’épargnons pas aujourd’hui, ce sera demain, si la relance se produit en effet, tout aussi difficilement. Et après-demain, lors d’une période de croissance élevée, cela deviendra même impossible. Car dans ce cas, l’argumentation sera telle que nous ne pourrons tout de même pas entraver cette période de prospérité. Pour le présenter autrement : ne pas économiser aujourd’hui pour des motifs purement conjoncturels résultera en définitive dans le report des interventions nécessaires et donc dans la poursuite du remplissable du puits du futur.

Nous ne devons en outre pas oublier que ce puits est déjà rempli, en grande partie, par l’actuel ratio d’endettement de plus de 100% du PIB et que les coûts du vieillissement de la population sont encore à venir.

Le puits du futur a un fond. Y déverser encore davantage ne devrait pas être une option économique, financière ou politique. Construire la confiance, cela ne se fait pas en recherchant des arguments faciles pour reporter systématiquement les problèmes vers le futur. Les citoyens savent parfaitement que le puits du futur sera plus rapidement rempli qu’il ne l’a jamais été, malgré les taux bas.

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